dira: Le chef de l'état a coupé leur bourse aux
princes d'Orléans; le meurtrier dira: Le chef de l'état a fusillé, mitraillé,
sabré et égorgé les passants dans les rues;--et tous ensemble, escroc,
faussaire, faux témoin, bandit, voleur, assassin, ajouteront:--Et vous,
juges, vous êtes allés saluer cet homme, vous êtes allés le louer de s'être
parjuré, le complimenter d'avoir fait un faux, le glorifier d'avoir
escroqué, le féliciter d'avoir volé et le remercier d'avoir assassiné!
qu'est-ce que vous nous voulez?
Certes, c'est là un état de choses grave. S'endormir sur une telle
situation, c'est une ignominie de plus.
Il est temps, répétons-le, que ce monstrueux sommeil des consciences
finisse. Il ne faut pas qu'après cet effrayant scandale, le triomphe du
crime, ce scandale plus effrayant encore soit donné aux hommes:
l'indifférence du monde civilisé.
Si cela était, l'histoire apparaîtrait un jour comme une vengeresse; et
dès à présent, de même que les lions blessés s'enfoncent dans les
solitudes, l'homme juste, voilant sa face en présence de cet abaissement
universel, se réfugierait dans l'immensité du mépris.
IV
ON SE RÉVEILLERA
Mais cela ne sera pas; on se réveillera.
Ce livre n'a pas d'autre but que de secouer ce sommeil. La France ne
doit pas même adhérer à ce gouvernement par le consentement de la
léthargie; à de certaines heures, en de certains lieux, à de certaines
ombres, dormir, c'est mourir.
Ajoutons qu'au moment où nous sommes, la France, chose étrange à
dire et pourtant réelle, ne sait rien de ce qui s'est passé le 2 décembre et
depuis, ou le sait mal, et c'est là qu'est l'excuse. Cependant, grâce à
plusieurs publications généreuses et courageuses, les faits commencent
à percer. Ce livre est destiné à en mettre quelques-uns en lumière, et,
s'il plaît à Dieu, à les présenter tous sous leur vrai jour. Il importe qu'on
sache un peu ce que c'est que M. Bonaparte. À l'heure qu'il est, grâce à
la suppression de la tribune, grâce à la suppression de la presse, grâce à
la suppression de la parole, de la liberté et de la vérité, suppression qui
a eu pour résultat de tout permettre à M. Bonaparte, mais qui a en
même temps pour effet de frapper de nullité tous ses actes sans
exception, y compris l'inqualifiable scrutin du 20 décembre, grâce,
disons-nous, à cet étouffement de toute plainte et de toute clarté,
aucune chose, aucun homme, aucun fait, n'ont leur vraie figure et ne
portent leur vrai nom; le crime de M. Bonaparte n'est pas crime, il
s'appelle nécessité; le guet-apens de M. Bonaparte n'est pas guet-apens,
il s'appelle défense de l'ordre; les vols de M. Bonaparte ne sont pas vols,
ils s'appellent mesures d'état; les meurtres de M. Bonaparte ne sont pas
meurtres, ils s'appellent salut public; les complices de M. Bonaparte ne
sont pas des malfaiteurs, ils s'appellent magistrats, sénateurs et
conseillers d'état; les adversaires de M. Bonaparte ne sont pas les
soldats de la loi et du droit, ils s'appellent jacques, démagogues et
partageux. Aux yeux de la France, aux yeux de l'Europe, le 2 décembre
est encore masqué. Ce livre n'est pas autre chose qu'une main qui sort
de l'ombre et qui lui arrache le masque.
Allons, nous allons exposer ce triomphe de l'ordre; nous allons peindre
ce gouvernement vigoureux, assis, carré, fort; ayant pour lui une foule
de petits jeunes gens qui ont plus d'ambition que de bottes, beaux fils et
vilains gueux; soutenu à la Bourse par Fould le juif, et à l'église par
Montalembert le catholique; estimé des femmes qui veulent être filles
et des hommes qui veulent être préfets; appuyé sur la coalition des
prostitutions; donnant des fêtes; faisant des cardinaux; portant cravate
blanche et claque sous le bras, ganté beurre frais comme Morny, verni à
neuf comme Maupas, frais brossé comme Persigny, riche, élégant,
propre, doré, brossé, joyeux, né dans une mare de sang.
Oui, on se réveillera!
Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple, est la honte; et
quand la France sera réveillée, quand elle ouvrira les yeux, quand elle
distinguera, quand elle verra ce qu'elle a devant elle et à côté d'elle, elle
reculera, cette France, avec un frémissement terrible, devant ce
monstrueux forfait qui a osé l'épouser dans les ténèbres et dont elle a
partagé le lit.
Alors l'heure suprême sonnera.
Les sceptiques sourient et insistent; ils disent: «--N'espérez rien. Ce
régime, selon vous, est la honte de la France. Soit; cette honte est cotée
à la Bourse. N'espérez rien. Vous êtes des poètes et des rêveurs si vous
espérez. Regardez donc; la tribune, la presse, l'intelligence, la parole, la
pensée, tout ce qui était la liberté a disparu. Hier cela remuait, cela
vivait, aujourd'hui cela est pétrifié. Eh bien! on est content, on
s'accommode de cette pétrification, on en tire parti, on
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