le meurtre et
l'assassinat dans la lutte, la spoliation, l'escroquerie et le vol dans le
triomphe; ce crime traîne après lui, comme parties intégrantes de
lui-même, la suppression des lois, la violation des inviolabilités
constitutionnelles, la séquestration arbitraire, la confiscation des biens,
les massacres nocturnes, les fusillades secrètes, les commissions
remplaçant les tribunaux, dix mille citoyens déportés, quarante mille
citoyens proscrits, soixante mille familles ruinées et désespérées. Ces
choses sont patentes. Eh bien! ceci est poignant à dire, le silence se fait
sur ce crime; il est là, on le touche, on le voit, on passe outre et l'on va à
ses affaires; la boutique ouvre, la Bourse agiote, le commerce, assis sur
son ballot, se frotte les mains, et nous touchons presque au moment où
l'on va trouver cela tout simple. Celui qui aune de l'étoffe n'entend pas
que le mètre qu'il a dans la main lui parle et lui dit: «C'est une fausse
mesure qui gouverne.» Celui qui pèse une denrée n'entend pas que sa
balance élève la voix et lui dit: «C'est un faux poids qui règne.» Ordre
étrange que celui-là, ayant pour base le désordre suprême, la négation
de tout droit! l'équilibre fondé sur l'iniquité!
Ajoutons, ce qui, du reste, va de soi, que l'auteur de ce crime est un
malfaiteur de la plus cynique et de la plus basse espèce.
À l'heure qu'il est, que tous ceux qui portent une robe, une écharpe ou
un uniforme, que tous ceux qui servent cet homme le sachent, s'ils se
croient les agents d'un pouvoir, qu'ils se détrompent. Ils sont les
camarades d'un pirate. Depuis le 2 décembre, il n'y a plus en France de
fonctionnaires, il n'y a que des complices. Le moment est venu que
chacun se rende bien compte de ce qu'il a fait et de ce qu'il continue de
faire. Le gendarme qui a arrêté ceux que l'homme de Strasbourg et de
Boulogne appelle des «insurgés», a arrêté les gardiens de la
constitution. Le juge qui a jugé, les combattants de Paris ou des
provinces, a mis sur la sellette les soutiens de la loi. L'officier qui a
gardé à fond de cale les «condamnés», a détenu les défenseurs de la
république et de l'état. Le général d'Afrique qui emprisonne à Lambessa
les déportés courbés sous le soleil, frissonnants de fièvre, creusant dans
la terre brûlée un sillon qui sera leur fosse, ce général-là séquestre,
torture et assassine les hommes du droit. Tous, généraux, officiers,
gendarmes, juges, sont en pleine forfaiture. Ils ont devant eux plus que
des innocents, des héros! plus que des victimes, des martyrs!
Qu'on le sache donc, et qu'on se hâte, et, du moins, qu'on brise les
chaînes, qu'on tire les verrous, qu'on vide les pontons, qu'on ouvre les
geôles, puisqu'on n'a pas encore le courage de saisir l'épée! Allons,
consciences, debout! éveillez-vous, il est temps!
Si la loi, le droit, le devoir, la raison, le bon sens, l'équité, la justice, ne
suffisent pas, qu'on songe à l'avenir. Si le remords se tait, que la
responsabilité parle!
Et que tous ceux qui, propriétaires, serrent la main d'un magistrat;
banquiers, fêtent un général; paysans, saluent un gendarme; que tous
ceux qui ne s'éloignent pas de l'hôtel où est le ministre, de la maison où
est le préfet, comme d'un lazaret; que tous ceux qui, simples citoyens,
non fonctionnaires, vont aux bals et aux banquets de Louis Bonaparte
et ne voient pas que le drapeau noir est sur l'Élysée, que tous ceux-là le
sachent également, ce genre d'opprobre est contagieux; s'ils échappent à
la complicité matérielle, ils n'échappent pas à la complicité morale.
Le crime du 2 décembre les éclabousse.
La situation présente, qui semble calme à qui ne pense pas, est violente,
qu'on ne s'y méprenne point. Quand la moralité publique s'éclipse, il se
fait dans l'ordre social une ombre qui épouvante.
Toutes les garanties s'en vont, tous les points d'appui s'évanouissent.
Désormais il n'y a pas en France un tribunal, pas une cour, pas un juge
qui puisse rendre la justice et prononcer une peine, à propos de quoi
que ce soit, contre qui que ce soit, au nom de quoi que ce soit.
Qu'on traduise devant les assises un malfaiteur quelconque, le voleur
dira aux juges: Le chef de l'état a volé vingt-cinq millions à la Banque;
le faux témoin dira aux juges: Le chef de l'état a fait un serment à la
face de Dieu et des hommes, et ce serment, il l'a violé; le coupable de
séquestration arbitraire dira: Le chef de l'état a arrêté et détenu contre
toutes les lois les représentants du peuple souverain; l'escroc dira: Le
chef de l'état a escroqué son mandat, escroqué le pouvoir, escroqué les
Tuileries; le faussaire dira: Le chef de l'état a falsifié un scrutin; le
bandit du coin du bois
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