Napoléon Le Petit | Page 3

Victor Hugo
qui tenteraient de
changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi.»
Quand il eut fini de parler, l'assemblée constituante se leva et poussa
d'une seule voix ce grand cri: Vive la république!
Louis-Napoléon Bonaparte descendit de la tribune, alla droit au général
Cavaignac, et lui tendit la main. Le général hésita quelques instants à
accepter ce serrement de main. Tous ceux qui venaient d'entendre les
paroles de Louis Bonaparte, prononcées avec un accent si profond de
loyauté, blâmèrent le général.
La constitution à laquelle Louis-Napoléon Bonaparte prêta serment le
20 décembre 1848 «à la face de Dieu et des hommes» contenait, entre
autres articles, ceux-ci:
«ART. 36. Les représentants du peuple sont inviolables.
«ART. 37. Ils ne peuvent être arrêtés en matière criminelle, sauf le cas
de flagrant délit, ni poursuivis qu'après que l'assemblée a permis la
poursuite.
«ART. 68. Toute mesure par laquelle le président de la république
dissout l'assemblée nationale, la proroge, ou met obstacle à l'exercice
de son mandat, est un crime de haute trahison.
«Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions, les citoyens
sont tenus de lui refuser obéissance; le pouvoir exécutif passe de plein
droit à l'assemblée nationale. Les juges de la haute cour se réunissent
immédiatement à peine de forfaiture; ils convoquent les jurés dans le
lieu qu'ils désignent pour procéder au jugement du président et de ses
complices; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir
les fonctions du ministère public.»

Moins de trois ans après cette journée mémorable, le 2 décembre 1851,
au lever du jour, on put lire, à tous les coins des rues de Paris, l'affiche
que voici:
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
«Décrète:
«ART. 1er. L'assemblée nationale est dissoute.
«ART. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.
«ART. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices.
«ART. 4. L'état de siège est décrété dans toute l'étendue de la première
division militaire.
«ART. 5. Le conseil d'état est dissous.
«ART. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent
décret.
«Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.
«LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.»
En même temps Paris apprit que quinze représentants du peuple,
inviolables, avaient été arrêtés chez eux, dans la nuit, par ordre de
Louis-Napoléon Bonaparte.

II
MANDAT DES REPRÉSENTANTS
Ceux qui ont reçu en dépôt pour le peuple, comme représentants du
peuple, le serment du 20 décembre 1848, ceux surtout qui, deux fois

investis de la confiance de la nation, le virent jurer comme constituants
et le virent violer comme législateurs, avaient assumé en même temps
que leur mandat deux devoirs. Le premier, c'était: le jour où ce serment
serait violé, de se lever, d'offrir leurs poitrines, de ne calculer ni le
nombre ni la force de l'ennemi, de couvrir de leurs corps la
souveraineté du peuple, et de saisir, pour combattre et pour jeter bas
l'usurpateur, toutes les armes, depuis la loi qu'on trouve dans le code
jusqu'au pavé qu'on prend dans la rue. Le second devoir, c'était, après
avoir accepté le combat et toutes ses chances, d'accepter la proscription
et toutes ses misères; de se dresser éternellement debout devant le
traître, son serment à la main; d'oublier leurs souffrances intimes, leurs
douleurs privées, leurs familles dispersées et mutilées, leurs fortunes
détruites, leurs affections brisées, leur coeur saignant, de s'oublier
eux-mêmes, et de n'avoir plus désormais qu'une plaie, la plaie de la
France; de crier justice! de ne se laisser jamais apaiser ni fléchir, d'être
implacables; de saisir l'abominable parjure couronné, sinon avec la
main de la loi, du moins avec les tenailles de la vérité, et de faire rougir
au feu de l'histoire toutes les lettres de son serment et de les lui
imprimer sur la face!
Celui qui écrit ces lignes est de ceux qui n'ont reculé devant rien, le 2
décembre, pour accomplir le premier de ces deux grands devoirs; en
publiant ce livre, il remplit le second.

III
MISE EN DEMEURE
Il est temps que la conscience humaine se réveille.
Depuis le 2 décembre 1851, un guet-apens réussi, un crime odieux,
repoussant, infâme, inouï, si l'on songe au siècle où il a été commis,
triomphe et domine, s'érige en théorie, s'épanouit à la face du soleil, fait
des lois, rend des décrets, prend la société, la religion et la famille sous
sa protection, tend la main aux rois de l'Europe, qui l'acceptent, et leur
dit: mon frère ou mon cousin. Ce crime, personne ne le conteste, pas

même ceux qui en profitent et qui en vivent, ils disent seulement qu'il a
été «nécessaire»; pas même celui qui l'a commis, il dit seulement, que,
lui criminel, il a été «absous». Ce crime contient tous les crimes, la
trahison dans la conception, le parjure dans l'exécution,
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