suis de cette race-l��. Il consid��re avant tout, la terre qui le nourrit, et le peu qu'il en a est pour lui comme la moiti�� de son ame; celle qu'il n'a pas, il la convoite, et, qu'elle soit �� lui ou non, il la respecte, car c'est toujours de la terre, une chose o�� il croit voir et toucher le bienfait du Ciel. Dans mon jeune temps, il ne se souciait pas beaucoup de l'argent. Il ne savait pas s'en servir. Faire rouler, suer et produire les ��cus, c'��tait une science �� l'usage des bourgeois. Chez nous autres, pour qui tout ��tait ��change, travail d'une part, payement en denr��es, de l'autre, l'argent n'��tait pas un grand r��ve. On en voyait si peu, on en maniait si rarement, qu'on n'y songeait point; on ne pensait qu'�� avoir un pr��, un bois, un jardin �� soi, et on disait:
-- C'est un droit pour ceux qui travaillent et qui mettent des enfants au monde.
La d��votion seule retenait le paysan, mais elle ne retenait plus le bourgeois, et il y avait d��j�� longtemps qu'elle ��tait une ris��e pour les nobles. Il n'y avait plus ni dons, ni offrandes, ni legs pour les couvents; les grandes familles n'y envoyaient plus leurs derniers n��s, que par rare exception; le fonds ne se renouvelait donc pas, et la propri��t�� se d��t��riorait. L'��tat religieux n'��tait plus de mode quand il s'agissait de donner �� l'��glise; on aimait mieux ��tre abb�� et recevoir de l'��tat.
Aussi le moutier de Valcreux n'avait plus que six religieux au lieu de douze, et, quand, plus tard, la communaut�� fut dissoute, il n'en restait plus que trois.
Je reviens, je ne veux pas dire �� mes moutons, puisque je n'en avais qu'un, mais �� ma ch��re Rosette. L'��t�� ��tait venu et l'herbe se faisait si rare, m��me au revers des foss��s, que je ne savais plus quoi inventer pour la nourrir. J'��tais oblig��e d'aller loin dans la montagne, et je craignais les loups. J'��tais d��sol��e, la pluie n'arrivait point et Rosette se faisait maigre. Le p��re Jean, voyant le chagrin que j'en avais, ne me faisait pas de reproches, mais il ��tait m��content d'avoir mis son argent, ses trois livres tournois, �� un achat qui co?tait tant de peine et annon?ait si peu de profit.
Un jour que je passais le long d'un petit pr�� qui appartenait au moutier et qui ��tait rest�� vert et touffu �� cause de la rivi��re qui le traversait, Rosette s'arr��ta devant la barri��re et se mit �� b��ler si piteusement, que j'en fus comme affol��e de chagrin et de piti��. La barri��re ��tait non ferm��e, mais pouss��e au ras du poteau, et m��me elle ne joignait point, car Rosette y fourra sa t��te, et puis son corps et fit si bien qu'elle passa.
Je fus d'abord toute saisie en la voyant dans un enclos o�� je ne pouvais pas la suivre, moi qui avais du raisonnement, moi qui, ��tant une personne, savais qu'elle n'avait pas le droit de faire ce qu'elle faisait, la pauvre innocente! Je commen?ais �� sentir ma bonne conscience et �� ��tre fi��re de n'avoir jamais fait de pillerie, ce qui me valait toujours les compliments de mon oncle et le respect de mes cousins, encore que ceux-ci ne fussent pas aussi scrupuleux que moi. Je me demandais donc si mon devoir n'��tait pas de mettre ma religion �� la place de celle qui manquait �� Rosette. Je l'appelai, elle fit la sourde. Elle mangeait de si bon coeur, elle avait l'air si content!
Je la rappelai au bout d'un moment, d'un bon moment, je dois l'avouer, quand, tout �� coup, je vis, de l'autre c?t�� de la barri��re, une jeune et douce figure de novice qui me regardait en riant.
II
Je me sentis bien honteuse; pour s?r, ce gar?on se moquait de moi, et il faut croire que j'avais beaucoup d'amour-propre, car cette honte me peina le coeur et je ne pus me retenir de pleurer.
Alors, le jeune religieux s'��tonna et me dit d'une voix aussi douce que sa figure:
-- Tu pleures, petite? quel chagrin as-tu donc?
-- C'est, lui r��pondis-je, �� cause de mon ouaille qui s'est sauv��e dans votre pr��.
-- Eh bien, elle n'est pas perdue pour ?a. Elle est contente puisqu'elle mange?
-- Elle est contente, je le sais bien; mais, moi, je suis fach��e, parce qu'elle est en maraude.
-- Qu'est-ce que ?a veut dire, en maraude?
-- Elle mange sur le bien d'autrui.
-- Le bien d'autrui! tu ne sais ce que tu dis, ma petite. Le bien des moines est �� tout le monde.
-- Ah! c'est donc qu'il n'est plus aux moines? Je ne savais pas.
-- Est-ce que tu n'as pas de religion?
-- Si fait, je sais dire ma pri��re.
-- Eh bien, tu demandes tous les matins �� Dieu ton pain quotidien, et l'��glise, qui est riche, doit
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