bien un beau mouton, mais nous n'avons pas de bergerie pour le mettre!
-- Nous lui en ferons une demain, r��pondit-il; en attendant, il couchera l�� dans un coin de la chambre. Il n'a pas grand'faim ce soir, il a march�� et il est las. Au petit jour, tu le m��neras au chemin d'en bas, o�� il y a de l'herbe, et il mangera son saoul.
Attendre au lendemain pour faire manger Rosette (je l'avais d��j�� baptis��e) me parut bien long. J'obtins la permission d'aller avant la nuit _faire de la feuille _le long des haies. Je passais dans mes mains les branches d'ormille et de noisetier sauvage, et je remplissais mon tablier de feuilles vertes. La nuit vint et je me mis les mains en sang dans les ��pines; mais je ne sentais rien et je n'avais peur de rien, quoique je ne me fusse jamais trouv�� seule si tard apr��s le soleil couch��.
Quand je rentrai, tout le monde dormait chez nous, malgr�� les b��lements de Rosette, qui sans doute s'ennuyait d'��tre seule et regrettait ses anciennes camarades. Elle se trouvait _��trange, _comme on disait chez nous, c'est-��-dire d��pays��e. Elle ne voulut pas manger, ni boire. J'en eus beaucoup d'inqui��tude et de chagrin. Le lendemain, elle parut tr��s contente de sortir et de manger l'herbe fra?che. Je voulais que mon grand-oncle lui f?t vitement un abri o�� elle p?t dormir sur de la liti��re, et je me hatai, aussit?t apr��s la messe, d'aller couper de la foug��re sur le communal. Comme chacun en faisait autant, il n'y en avait gu��re; heureusement il n'en fallait pas beaucoup pour un seul mouton.
Mais mon grand-oncle, qui n'��tait plus bien leste, avait �� peine commenc�� sa batisse, et je dus l'aider �� battre et �� d��layer de la terre. Enfin, vers le soir, Jacques lui ayant apport�� des grandes pierres plates, des branches, des mottes de gazon et une grosse charge de gen��ts, la bergerie fut �� peu pr��s debout et couverte. La porte ��tait si basse et si petite, que moi seule pouvais y entrer en me baissant beaucoup.
-- Tu vois, me dit le p��re Jean, la b��te est bien �� toi, car il n'y a que toi pour entrer dans sa maison. Si tu oublies de lui faire son lit et de lui donner l'herbe du jour et le boire de la nuit, elle sera malade, elle d��p��rira, et tu en auras du regret.
-- Il n'y a pas de danger que ?a arrive! r��pondis-je avec orgueil, et, d��s ce moment, je sentis que j'��tais quelqu'un. Je distinguai ma personne de celle des autres. J'avais une occupation, un devoir, une responsabilit��, une propri��t��, un but, dirai-je une maternit��, �� propos d'un mouton?
Ce qu'il y a de s?r, c'est que j'��tais n��e pour soigner, c'est-��- dire pour servir et prot��ger quelqu'un, quelque chose, ne f?t-ce qu'un pauvre animal, et que je commen?ais ma vie par le souci d'un autre ��tre que moi-m��me. J'eus d'abord une grande joie de voir Rosette bien log��e; mais, bient?t, entendant dire que les loups dont nos bois ��taient remplis r?daient jusqu'aupr��s de nos maisons, je ne pus dormir, m'imaginant toujours que je les entendais gratter et ronger le pauvre abri de Rosette. Mon grand- oncle se moquait de moi, disant qu'ils n'oseraient. J'insistai si bien, qu'il consolida la petite batisse avec de plus grosses pierres et garantit le toit avec de plus grosses branches bien serr��es.
Ce mouton m'occupa tout l'automne. L'hiver venu, il fallut bien quelquefois le mettre dans la maison par les grandes nuits de gel��e. Le p��re Jean aimait la propret��, et, au contraire des paysans de ce temps-l��, qui volontiers logeaient leurs b��tes et m��me leurs porcs avec eux, il r��pugnait �� leur mauvaise odeur et ne les souffrait gu��re sous son nez. Mais je m'arrangeai pour tenir Rosette si propre et sa liti��re si fra?che, qu'il me passa ma petite volont��. Il faut dire qu'en m��me temps que je m'attachais si fort �� Rosette, je prenais mieux �� coeur mes autres devoirs. Je voulais si bien complaire �� mon oncle et �� mes cousins qu'ils n'eussent plus le courage de me rien refuser pour ma brebis. Je faisais �� moi seule tout le m��nage et tous les repas. La Mariotte ne m'aidait plus que pour les gros ouvrages. J'appris vite �� laver et �� rapi��cer. J'emportais de l'ouvrage aux champs et je m'accoutumais �� faire deux choses �� la fois, car, tout en cousant, j'avais toujours l'oeil sur Rosette. J'��tais _bonne berg��re _dans toute l'acception du mot. Je ne la laissais pas longtemps �� la m��me place, afin de la tenir en app��tit, je ne lui permettais pas d'��puiser la nourriture d'un m��me endroit, je la promenais tout doucement et lui choisissais son petit bout de paturage au bord des chemins; car les moutons n'ont pas
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