Nanon | Page 2

George Sand
coucher du soleil.
C'est la premi��re fois que je me rendis compte de la dur��e d'une journ��e et que mes occupations eurent un sens pour moi. Il para?t que j'��tais d��j�� bonne �� quelque chose, puisque je savais balayer, ranger la maison et cuire les chataignes; mais je faisais ces choses machinalement, sans m'en apercevoir et sans savoir qui me les avait apprises. Ce jour-l��, je vis arriver la Mariotte, une voisine plus �� l'aise que nous, qui m'avait sans doute ��lev��e et que je voyais venir tous les jours sans m'��tre jamais demand�� pourquoi elle prenait soin de notre pauvre maison et de moi. Je la questionnai, tout en lui racontant ce que m'avait dit le p��re Jean, et je compris qu'elle s'occupait de notre m��nage en ��change du travail que mon grand-oncle faisait pour elle en cultivant son jardin et en fauchant son pr��. C'��tait une tr��s bonne et honn��te femme qui me donnait sans doute depuis longtemps des le?ons et des conseils, et �� qui j'ob��issais aveugl��ment, mais dont les paroles commenc��rent �� me frapper.
-- Ton grand-oncle, me dit-elle, se d��cide donc enfin �� acheter du b��tail! Il y a longtemps que je le tourmente pour ?a. Quand vous aurez des moutons, vous aurez de la laine; je t'apprendrai �� la d��graisser, �� la filer et �� la teindre en bleu ou en noir; et puis, en allant aux champs avec les autres petites berg��res, tu apprendras �� tricoter, et je gage que tu seras fi��re de pouvoir faire des bas au p��re Jean qui va les jambes quasi nues, pauvre cher homme, jusqu'au milieu de l'hiver, tant ses chausses sont mal rapi��c��es; moi, je n'ai pas le temps de tout faire. Si vous pouviez avoir une ch��vre, vous auriez du lait. Tu m'as vu faire des fromages et tu en ferais aussi. Allons, il faut continuer �� avoir bon courage. Tu es une fille propre, raisonnable et soigneuse des pauvres nippes que tu as sur le corps. Tu aideras le p��re Jean �� sortir de peine. Tu lui dois bien ?a, �� lui qui a augment�� sa mis��re en te prenant �� sa charge.
Je fus tr��s touch��e des compliments et encouragements de la Mariotte. Le sentiment de l'amour-propre s'��veilla en moi et il me sembla que j'��tais plus grande que la veille de toute la t��te.
C'��tait un samedi; ce jour-l�� �� souper, et le lendemain �� d��jeuner, nous mangions du pain. Le reste de la semaine, comme tous les pauvres gens du pays marchois, nous ne vivions que de chataignes et de bouillie de sarrasin. Je vous parle d'il y a longtemps; nous ��tions, je crois, en 1787. Dans ce temps-l��, beaucoup de familles ne vivaient pas mieux que nous. �� pr��sent, les pauvres gens sont un peu mieux nourris. On a des chemins pour pouvoir ��changer ses denr��es, et les chataignes procurent quelque peu de froment.
Le samedi soir, mon grand-oncle apportait du march�� un pain de seigle et un petit morceau de beurre. Je r��solus de lui faire sa soupe toute seule et je me fis bien expliquer comment la Mariotte s'y prenait. J'allai au jardin arracher quelques l��gumes et je les ��pluchai bien proprement avec mon m��chant petit couteau. La Mariotte, me voyant devenir adroite, me pr��ta pour la premi��re fois le sien, qu'elle n'avait jamais voulu me confier, craignant que je ne me fisse du mal avec.
Mon grand cousin Jacques arriva du march�� avant mon oncle; il apportait le pain, le beurre et le sel. La Mariotte nous laissa et je me mis �� l'oeuvre. Jacques se moqua beaucoup de mon ambition de faire la soupe toute seule et pr��tendit qu'elle serait mauvaise. Je me piquai d'honneur, ma soupe fut trouv��e bonne et me valut des compliments.
-- Puisque te voil�� une femme, me dit mon oncle en la d��gustant, tu m��rites le plaisir que je vais te faire. Viens avec moi au-devant de ton petit cousin Pierre, qui s'est charg�� de ramener l'_ouaille _et qui ne tardera pas d'arriver.
Ce mouton, ardemment d��sir��, ��tait donc une brebis, et elle ��tait probablement des plus laides, car elle avait co?t�� trois livres. Comme la somme me parut ��norme, la b��te me sembla belle. Certes, j'avais eu sous les yeux bien des objets de comparaison depuis que j'existais; mais je n'avais jamais song�� �� examiner le b��tail des autres, et mon mouton me plut tant, que je m'imaginai avoir le plus bel animal de la terre. Sa figure me revint tout de suite. Il me sembla qu'il me regardait avec amiti��, et, quand il vint manger dans ma petite main les feuilles et le d��chet des l��gumes que j'avais gard��s pour lui, j'eus bien de la peine �� me retenir de crier de joie.
-- Ah! mon oncle, dis-je, frapp��e d'une id��e qui ne m'��tait pas encore venue, voil��
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