Mythes chaldéens | Page 4

Léon Heuzey
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[Illustration: Fig. 5.]
Il est impossible de ne pas ouvrir une parenthèse pour dire
incidemment quelques mots de la seconde scène gravée sur le revers du
même cylindre. C'est encore une des luttes où le dieu Soleil était
engagé, d'après la légende chaldéenne; mais celle-ci appartient à une
autre partie de son histoire. Au milieu des montagnes, qui forment
derrière les figures comme deux panneaux rocheux, le dieu aux ailes de
feu, dont le caractère sidéral est encore accentué par une étoile qui
rayonne entre les cornes de sa coiffure, a trouvé un nouvel adversaire
dans Eabani, le monstre moitié-homme, aux jambes de taureau, vivant
avec les bêtes sauvages. Les fragments conservés de l'épopée
chaldéenne racontent bien en effet par quelles séductions le Soleil
l'avait attiré et retenu dans la ville d'Erech; mais ils ne parlent pas de
violence. Ici c'est de force que le dieu lui-même s'empare du monstre,
l'arrêtant à la fois par sa queue de taureau et par l'une de ses cornes,
sans craindre la massue recourbée dont il est armé. L'épisode est de

toute manière inédit; seulement rien ne prouve qu'il se reliât en quelque
façon à la lutte ignée contre le dieu de la montagne, et ce n'est peut-être
qu'un simple pendant à la scène gravée sur le côté opposé du cylindre.
Revenons maintenant à cette lutte, qui fait surtout l'objet de notre étude.
Prise en elle-même, elle paraît représenter l'heure du jour où les rayons
solaires sont dans toute leur incandescence. La difficulté est de savoir
quelle est la montagne, dont le dieu cherche alors à prendre possession
en la brûlant de ses feux. Est-ce la cime arrondie sous la forme de
laquelle les Chaldéens se représentaient la terre? Une idée plus simple
peut-être serait d'y reconnaître la montagne de l'Occident[15], vers
laquelle l'astre, arrivé au sommet de sa course et maintenant dans toute
sa force, marche pendant ces heures de l'après-midi qui sont les plus
chaudes de la journée. Les légendes chaldéennes, dont les débris nous
sont parvenus, sont si incomplètes qu'il serait vain de vouloir nommer
le dieu qui se mesure ici avec le Soleil[16]. Il suffit de nous rappeler,
par la comparaison avec d'autres mythologies, que de pareilles luttes,
comme le combat d'Hercule et d'Apollon dans la légende grecque, sont
inhérentes à l'essence même des mythes solaires.
[Note 15: Cependant sur le cylindre n° 178 de la collection De Clercq,
le vieillard nu, à longue barbe, est déjà agenouillé devant le dieu
flamboyant au moment où celui-ci met le pied sur la montagne.
Peut-être est-ce une représentation abrégée, qui réunit les deux scènes
en une seule.]
[Note 16: Les assyriologues mentionnent un dieu de l'Occident nommé
Martov, fils d'Anou, le dieu du Ciel; F. Lenormant, Les dieux de
Babylone et de l'Assyrie, p. 17.]
J'ajouterai que la présence de l'épouse du Soleil est liée d'habitude au
moment où l'astre achève sa course. C'est dans l'hymne chaldéen au
Soleil couchant[17] qu'il est dit en propres termes:
Que ton épouse bien-aimée vienne avec joie au devant de toi.
[Note 17: Dans cet hymne bilingue (traduit par O. Bertin, Revue
d'Assyr., I, IV, p. 158, le nom de la déesse, douteux en sumérien, se lit

A-a dans la traduction assyrienne, comme sur un grand nombre de
cylindres où il est gravé à coté de celui du Soleil (Catal. de la Coll. de
Clercq, n° 172; cf. numéros 98, 117, 129 et 130). Pour l'identification
avec Malka, voir dans le même ouvrage la note de M. Oppert, p. 57.]
Ainsi le poète grec Stésichore, dans un chant conservé par Athénée[18],
rapportait de même que le Soleil
S'en allait dans les profondeurs de la nuit sacrée, de la nuit solitaire,
Pour retrouver sa mère et l'épouse de sa jeunesse, Et ses chers enfants.
[Note 18: Athénée, I, p. 469, e.]
Les points de contact entre les légendes grecques et celles de la
Chaldée sont maintenant si bien établis qu'il y a peut-être là quelque
chose de plus qu'une coïncidence, d'ailleurs assez naturelle.
[Illustration: Fig. 6.]
Ce qui me confirme dans l'idée d'un assaut livré à la montagne de
l'Occident, c'est un autre cylindre qui représente le combat terminé et le
dieu aux ailes de flamme se reposant après sa victoire. Assis à son tour
sur la montagne qu'il vient de conquérir, il tient encore en main la
masse d'armes. Dans le champ, des deux côtés de la figure, sont
suspendues une autre masse d'armes et une aiguière ou un vase à verser,
double symbole du repos après la lutte. Ajoutez que les portes du ciel
sont ici de nouveau représentées avec leurs gardiens habituels.
Telle est bien l'impression que produisent sur l'imagination populaire
les splendeurs du soleil, quand il approche de son coucher. Le moment
où il semble se reposer à l'horizon est comme un triomphe
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