révélaient des formes d'athlète, et le blanc plastron de la chemise--la fine cuirasse mondaine--faisait songer les dames guerrières à l'autre cuirasse de métal aux éblouissantes blancheurs.
Tout en lui disait la peau et l'ame d'un male, et cependant la musculature merveilleuse s'agitait et tremblait, sous un tic nerveux imperceptible, non point comme un jeune rameau, à l'effort de la sève, mais comme un arbre jadis bien planté, bien fleuri, et que dévorent les vers, en son printemps.
Assis près du camarade Fayolle, Raymond de Pontaillac demeurait grave, indifférent au jeu de dominos et à toutes les propositions de joyeusetés nocturnes.
--Voulez-vous un tour à quatre? lui dit le major; je gagne tout ce que je veux.
--Qu'est-ce que cela me fait? Si vous croyez que je m'intéresse à votre sacrée partie!...
Un gar?on s'approcha, demandant ce qu'il fallait servir.
--Rien!... Ah! si... un verre d'eau!... Je meurs de soif!
Quand le capitaine de Pontaillac eut avalé un verre d'eau frappée, il s'absorba dans la lecture du Soir, et les deux horizontales ne purent s'empêcher de dire au lieutenant:
--Il n'est pas dr?le, ton ami.
--Ma foi, non!
La partie terminée, Jean de Fayolle voulut amuser Pontaillac. Il indiquait dans la salle voisine et derrière une glace dépolie le vieux monsieur, bien connu des officiers, et en train, selon son habitude, de mettre au jour l'Annuaire militaire.
--Quelle patience, hein?
--J'ai envie de l'étrangler!
--Oh! Raymond?...
--Une vilaine histoire que nous batirions là! fit Thérèse, en riant. Mon capitaine, vous le croqueriez d'un seul morceau, ce brave homme!
--Et vous auriez tort, Pontaillac, déclara Arnould-Castellier. Le correcteur est un de nos meilleurs amis.
--Que voulez-vous? Je souffre et j'ai des humeurs noires que je ne puis vaincre et dont j'ignore la cause.
--Je la connais, moi, affirma le major qui érigeait des dominos en tour Eiffel.
--Des bêtises!... La morphine, n'est-ce pas?
--Eh bien, oui, la morphine!... Vous vous tuez, Pontaillac!
--Me tuer? Allons donc! Dès que ?a me fera mal, je cesserai.
--Il sera trop tard; vous ne pourrez plus enrayer!
--C'est possible, car ce qui fait souffrir, ce n'est pas de prendre, mais de ne pas prendre de la morphine.
--Vous voyez bien!
Jean de Fayolle commanda une marquise au champagne, et malgré les invitations des camarades et les sourires de Thérèse et de Luce, Raymond se mit à sabler des verres d'eau.
Brusquement, la tour d'ébène et d'ivoire du major Lapouge s'effondra, et les dés roulèrent avec fracas sur le marbre.
--Vous êtes stupide! cria Pontaillac.
--Merci, capitaine... Fort aimable, en vérité!
--Pardon, major, pardon, mon ami, je suis tellement énervé que le moindre bruit m'exaspère.
--Ah! cette gueuse de morphine! C'est elle qui vous bouleverse!... Pontaillac, vous arriverez à être très malade!
--Vous vous trompez, major. J'ai besoin de ma piq?re, voilà tout.
--Prends un verre de champagne, cela vaudra mieux, dit Fayolle.
--Mais oui! mais oui! continuèrent les autres.
--A nos amours, capitaine! soupira Thérèse.
D'un geste, Raymond éloigna la main de Luce qui lui tendait une coupe mousseuse, et il parut s'intéresser à une réussite du directeur de la Revue militaire.
Thérèse avait pris machinalement des journaux illustrés et contemplait un portrait de Christine Stradowska, la diva illustre, la belle ma?tresse de Pontaillac. Celui-ci, fatigué de lutter contre une obsession, s'était baissé, et ayant relevé son pantalon et un cale?on de soie, venait de se faire à la jambe une piq?re de morphine.
Comme il se dressait, Luce Molday vit un objet briller dans sa main, et elle s'en empara, très rieuse.
--Eh! la jolie seringuette!
--Donnez-moi ?a?
--Non! non!
Et elle passa au docteur la petite seringue de Pravaz à laquelle l'aiguille perforée adhérait encore.
--Je ne vous la rendrai pas, capitaine! Je vais l'écraser sous mon talon! vociféra Lapouge, debout.
--Ne vous gênez pas, major; la piq?re est faite. Il y a une autre Pravaz dans ma poche et j'en ai quatorze à la maison.
Alors, Lapouge observa Pontaillac. Il lui semblait métamorphosé, car si pour les autres regards, le capitaine avait conservé, sous les dehors d'un chagrin amoureux, les apparences d'une verdeur extraordinaire,--seul, l'oeil du major venait de noter les tremblements furtifs du morphinomane. En même temps que les yeux perdaient leur inquiétante fixité, la voix tout à l'heure très rauque, sonnait en des vibrations de pur cristal; le geste, tout à l'heure incertain, comme incertaine la démarche, le geste retrouvait sa mesure, sa force, son charme.
--Merveilleux! balbutia le major qui n'osait plus détruire la Pravaz.
Raymond fit les honneurs d'une nouvelle marquise au champagne; il but en vrai gentilhomme. Puis, sur la prière de Thérèse de Roselmont, il dit comment il était devenu morphinomane.
Lors des guerres du Tonkin, nos chirurgiens calmaient les douleurs des blessés avec des piq?res de morphine, ainsi que jadis les docteurs allemands à Sadowa et à Gravelotte.
Un des camarades de Pontaillac, un officier d'artillerie, horriblement mutilé, avait été soulagé par la Pravaz, et quand Pontaillac, blessé en duel, re?ut la visite de l'officier d'artillerie, celui-ci lui vanta la méthode stupéfiante, les injections hypodermiques de Wood, médecin anglais: Raymond en usa; il
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