Morphine | Page 8

Jean-Louis Dubut de Laforest
comme elle l'aimerait, l'adorerait demain, si les millions venaient �� s'��vanouir.
Et ce qui prouvait le d��sint��ressement absolu de Christine, c'est qu'elle ne songeait point �� ��pouser Raymond: femme, elle le pr��f��rait �� un rang social; artiste, elle le pr��f��rait �� son art.
--Monsieur Rajileff est l��, madame, vint annoncer une des servantes.
--Qu'il entre!
De nouveau, couch��e sur l'amas de fourrures, Christine ��loigna ses l��vriers et tendit la main au visiteur.
--Je m'ennuie, Loris.
Tr��s respectueusement, l'homme, un grand et maigre vieillard �� favoris grisatres, parla de la r��p��tition quotidienne.
--Non, je ne chanterai pas aujourd'hui, et je ne chanterai peut-��tre plus jamais, d��clara Christine qui allumait une cigarette.
--Par les Saintes-Images! C'est impossible! fit l'accompagnateur habituel de la diva.
--Loris?
--Madame?
--Est-ce que je suis aussi jolie que les Parisiennes?
--Bien plus belle! Et le Tout-Paris est unanime �� c��l��brer votre talent et votre beaut��!... Vous avez lu les journaux?
--Je m'en moque!
--Les illustr��s donnent votre portrait, et je vous signale un article du Rabelais.
--?a m'est ��gal!
--Il faut vous distraire, madame; il faut travailler. Allons, donnez-moi la joie de vous entendre.
--Pas encore, mon bon Rajileff.
Ils ��voqu��rent leur pays, les steppes immenses, les fleuves, les merveilles du Kremlin, et comme au souvenir des choses lointaines et b��nies, le calme renaissait sur le visage de la jeune Russe, on entendit vibrer le timbre de l'antichambre.
Christine ��couta et ne put r��primer l'effet d'une d��sillusion.
--Madame, dit la cam��riste en entrant, il y a l�� un monsieur qui insiste pour voir Madame. Voici sa carte.
La Stradowska lut sur le bristol: ?C��sar Houdrequin, r��dacteur au Rabelais.?
--Je ne connais pas ce monsieur; je ne re?ois pas. Sais-tu ce qu'il veut?
--Il a parl�� d'une interview.
--Les interviews, j'en ai assez!
Mais la diva r��fl��chit, et anim��e de cette id��e qu'�� force d'��clat, elle arriverait �� reconqu��rir son amant, elle pria Loris Rajileff de passer dans un salon voisin et re?ut le journaliste.
C��sar Houdrequin, jeune gommeux �� monocle, t��te brune et fris��e, avec un nez en lame de sabre et une barbiche de chasseur �� pied, s'inclinait en homme du monde.
--Madame, je vous apporte d'abord les compliments du Rabelais.
--Votre journal, monsieur, r��pondit la diva, est toujours aimable, et j'en suis bien reconnaissante... Veuillez vous asseoir.
Et pleine de bienveillance, elle offrit une cigarette orientale �� l'interviewer, qui commen?a, entre deux bouff��es:
--Ch��re madame, on a d��j�� beaucoup ��crit sur vous, sur votre talent, sur vos charmes, sur votre g��nie d'artiste; on sait les propositions qui vous sont faites chaque jour par les plus grands impressarii de l'Am��rique; on n'ignore pas votre refus hautain d'aller chanter en Allemagne: vous Russe, vous vous ��tes montr��e plus Fran?aise que bien des Fran?ais. Mais, ce n'est pas l�� le motif de notre interview. Aujourd'hui, le public a des exigences consid��rables, et je dirais que le Rabelais peut les satisfaire, si ma modestie n'y ��tait int��ress��e. Un journal bien inform�� doit �� ses lecteurs... presque des indiscr��tions. Pardonnez-moi donc, madame, et daignez me r��pondre. Est-il vrai qu'un des grands-ducs de Russie a d��jeun�� chez vous, ce matin, et que...
La Stradowska l'interrompit vivement:
--Je n'ai re?u la visite d'aucun duc, monsieur, et je ne comprends pas votre interrogation tout au moins bizarre. Je vis ici comme il me pla?t, et mon existence priv��e ne regarde personne.
--Ah! madame, ne vous fachez pas! Je vous le r��p��te, et vous le savez, le Rabelais est oblig�� par ses lecteurs...
--Tant pis pour vos lecteurs!
--Mais la visite d'un grand-duc n'a rien de blessant, au contraire, et votre c��l��brit�� va y gagner.
--Assez, monsieur.
Houdrequin murmura des paroles courtoises. Oh! il n'entendait pas abuser! Il soumettrait �� Christine son interview, avant de la livrer au journal. Vraiment, il n'y serait point gliss�� de choses galantes, et le public verrait l�� un simple hommage rendu par une imp��riale altesse �� une illustre compatriote.
--Vous m'ennuyez, monsieur! Je n'ai jamais eu de relations avec les grands-ducs.
--M��me... platoniques?
--M��me platoniques.
--Et le prince de Galles?
--Eh bien, quoi, le prince de Galles?
--Est-ce que vous n'avez pas soup�� vendredi avec Son Altesse au Pavillon Chinois?
--Jamais de la vie!
--Alors, le directeur du Rabelais va me flanquer �� la porte.
--Et pourquoi ?a?
--Parce que, sur le ragot d'un confr��re, je lui ai promis des r��v��lations russes et anglaises.
--Votre confr��re s'est amus�� de vous!
--Et il me le payera! Au revoir, madame.
--Adieu, monsieur.
Demeur��e seule, Christine appela Rajileff et furieuse de la visite du reporter, se d��tendit les nerfs, aux accords du piano, avec des roulades.
* * * * *
Vers les quatre heures, un landau, attel�� d'une magnifique paire d'orloffs, s'arr��ta devant l'h?tel de la villa Sa?d, et le capitaine de Pontaillac en descendit.
--Ah! te voil�� enfin! g��mit la Stradowska, toute ��plor��e entre les bras de Raymond.
Ils rest��rent un moment serr��s l'un contre l'autre. L'officier inventait des excuses, mais Christine lui ferma la bouche d'un baiser.
--Ne mens pas?... Tu ne m'aimes plus... Tu aimes une autre femme?...
--Je te jure...
--Ne mens pas!
Le souvenir de la marquise de Montreu lui br?lait le coeur et les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 43
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.