Morphine | Page 9

Jean-Louis Dubut de Laforest
l��vres, mais elle se sentit le courage de se dominer, pr��te �� tous les pardons, �� toutes les grandeurs.
--Aime-moi un peu?
--Je t'adore!
Cette fin de journ��e, ils la pass��rent au Bois, dans la voiture du comte, et le soir, apr��s un souper en t��te-��-t��te, Raymond voulut bien faire �� Christine l'aum?ne d'un semblant d'amour.
Qu'ils la connaissaient mal ceux qui la soup?onnaient de trahir son amant, son idole!
--Veux-tu, ch��ri, que je quitte le th��atre?
--A quoi bon!
--Je n'aime que toi...
--Et la gloire, ? Christine?
--La gloire, le bonheur, c'est toi, toi, rien que toi!
Elle l'entourait de ses beaux bras, le chauffait de toute l'ardente chaleur de sa jeunesse, et lui, l'esprit en d��route, r��vait de la grande dame.
--Laisse-moi...
--Raymond?
--Tu m'agaces!
--Mon bien-aim��?
--Tu m'emb��tes! J'ai besoin de ma piq?re.
--La morphine te tue!
--Elle me fait vivre.
--Demain, Raymond...
--Non... Vite, ma Pravaz!
* * * * *
Au matin, de retour chez lui, le capitaine trouva un billet aimable du marquis de Montreu et un petit paquet renfermant une de ses Pravaz si gracieusement offerte au docteur Aubertot pour l'usage de la marquise Blanche.
Le billet disait:
?Mon vieux Pontaillac,
Grace �� la morphine, ma ch��re femme a vu dispara?tre sa n��vralgie rebelle. Nous te proclamons le premier m��decin de France, et te f��terons, si tu veux bien, lundi soir, sept heures.
Il y aura des perdreaux, des b��cassines et un li��vre du Limousin, une chasse superbe de bon papa La Croze.
Ton ami,
OLIVIER.?
Raymond vint d?ner �� l'h?tel du boulevard Malesherbes, et il n'osa point encore affirmer la passion qui le d��vorait.
Les jours, les semaines s'��grenaient, pareils.
En f��vrier, en mars, en avril, la marquise de Montreu souffrit de ses crises n��vralgiques. On rappela le professeur Aubertot, mais celui-ci, malgr�� les pri��res de sa cliente, s'opposa �� de nouvelles piq?res de morphine. Il signalait le danger, et �� l'insu du docteur et du mari, Blanche acheta une Pravaz et se fit d��livrer des ordonnances par un autre m��decin.
Secr��tement, elle recourait aux injections hypodermiques; elle en arriva �� faire fabriquer des seringues d'argent, de vermeil et d'or, grav��es de son chiffre et incrust��es de pierres pr��cieuses.

IV
--Monsieur le docteur Aubertot?
--Veuillez entrer l��, madame, r��pondit �� la visiteuse un domestique en habit noir et cravate blanche, droit et rigide, solennel.
Et il ouvrit �� l'horizontale Luce Molday la porte d'un grand salon o�� quelques personnes ��taient assises, les unes pr��s de la table et feuilletant des livres et des albums, les autres, isol��es en de vastes fauteuils, sous les ombres cr��pusculaires.
La consultation allait bient?t finir, mais le timbre du vestibule retentit encore, et parut un jeune homme, un habitu��.
--Il est bien tard, monsieur Lagneau, observa le valet de chambre.
--Je tiens �� passer, Baptiste.
D��j��, le monsieur avait gliss�� une pi��ce de deux francs au larbin; celui-ci le fit p��n��trer dans un petit salon, et comme le docteur reconduisait une dame, le tour de Lagneau arriva tout de suite, malgr�� les longues heures d'attente des autres clients.
--Je vous salue, monsieur le professeur.
--Asseyez-vous, monsieur Lagneau.
Aux clart��s des lampes, Aubertot examina son malade, lui tata le pouls, recommanda la continuation de la pr��c��dente ordonnance: bromure de potassium, bains ��lectriques, et termina en ces termes:
--Pas de fatigue, pas d'��motion--et revenez dans huit jours.
Lagneau posa deux louis sur la table et sortit.
Des dames, des messieurs, tous afflig��s de maladies nerveuses, entr��rent et disparurent avec la m��me rapidit��, lest��s d'ordonnances presque pareilles.
Luce Molday, en robe de drap gris rat, manches de peluche, avec un gilet ray�� de lacet blanc et or, toque en passementerie dor��e, torsade de voile blanc et panache aigrette gris rat, les menottes gant��es et chaudes dans un manchon �� la derni��re mode, un oiseau ailes d��ploy��es--Luce baissait les yeux. Elle se recueillait, dompt��e par le luxe s��v��re de la grande salle dont les huit fen��tres donnaient sur l'avenue de l'Op��ra; elle imitait les attitudes graves des autres personnes et n'imaginait gu��re que Baptiste, en ce lieu de science, ��changeait des faveurs contre des pi��ces de quarante sous.
On remuait des chaises �� travers les salons voisins, et quelqu'un dit:
--Ce soir, il y a bal chez le docteur.
Restaient au salon Luce, deux messieurs et trois dames.
Baptiste les informa que la consultation ��tait termin��e et leur remit des num��ros d'ordre pour la prochaine du grand m��decin des n��vroses.
--C'est assommant! Je suis tr��s malade, murmura l'horizontale qui sortait la derni��re.
Elle tira de sa bourse en filigrane d'or une pi��ce de cinq francs.
--Est-ce qu'on pourrait passer avec ?a?
--Venez vite, madame, fit le valet, en empochant le m��tal.
Comme tous ses illustres confr��res, le docteur Aubertot ignorait les bonnes aubaines du domestique, ou bien il fermait les yeux.
--Vous ne recevrez plus personne aujourd'hui, ordonna le m��decin �� Baptiste.
Et indiquant un si��ge �� sa nouvelle et agr��able cliente:
--Je vous ��coute, madame.
--Figurez-vous, monsieur le docteur, que depuis un mois je prends de la morphine en injections.
--Et pourquoi prenez-vous de la morphine?
--D'abord, je me suis piqu��e, histoire de m'amuser, et ensuite...
--Parce que vous aviez besoin
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