Morphine | Page 6

Jean-Louis Dubut de Laforest
pas ajouter que souvent, apr��s une piq?re, il se produit chez certaines personnes un ��tat comateux dont les suites peuvent ��tre graves.
* * * * *
Le soir ��tait venu, et Olivier demeurait seul aupr��s de madame, lorsqu'un appel se fit entendre �� la porte.
--Entre, ma bonne Catissou, autorisa le marquis.
Une femme s'avan?a tr��s droite, malgr�� son grand age, en robe de popeline noire, coiff��e d'un fichu de soie rouge, �� la mani��re des Bordelaises; elle marchait, recueillie et non pas servile: deux bandeaux de cheveux blancs ornaient son front sillonn�� de rides profondes, et sa bouche d��meubl��e gardait un sourire de bont�� infinie.
Cette vieille servante avait vu na?tre et grandir Olivier, l��-bas, en Limousin, dans le manoir ancestral de Montreu; elle l'avait ��lev��, dorlot��, �� la mort des parents, et sous la tutelle d'un oncle aujourd'hui disparu. Et quand le gentilhomme, mari�� �� l'unique h��riti��re d'une noble maison, quitta la Haute-Vienne pour Paris, elle voulut le suivre, le servir encore, de tout son d��vouement de chienne maternelle aim��e et respect��e.
En cet h?tel du boulevard Malesherbes, au milieu des larbins qu'elle commandait, de toute la valetaille fin-de-si��cle, elle aimait �� tricoter des bas, le soir, pr��s des fourneaux de la cuisine, en g��missant des vastes chemin��es seigneuriales et des flamb��es ��normes.
Olivier voyait en elle une amie, presque une parente, et sur son ordre, elle le tutoyait comme autrefois du temps o�� elle d��shabillait le petit gentilhomme, bordait le lit, s'enorgueillissait d'��tre l'humble maman de son ?monsieur?.
Elle dit, en patois limousin:
--Olivier, je viens de coucher la petite Jeanne. Comment se trouve notre dame?
--Beaucoup mieux, sourit le gentilhomme.
L'ancienne ajouta:
--Tu ne peux pas rester ici toute la nuit... Ta vieille est l��... Voyons, il faut aller te coucher... Ne fais pas l'ent��t��...
M. de Montreu, assez hautain avec les autres serviteurs, riait des familiarit��s de Catherine, et loin de les combattre, il les encourageait par ses r��ponses patoises et l'��vocation du lieu natal.
--Je veillerai tout seul.
--Non... Non...
Sans la brusquer, il poussa la femme vers la porte, courut embrasser dans la chambre voisine, Jeanne, sa fille, une blondinette de quatre ans; puis il s'installa dans un grand fauteuil.
Mais, avant l'aurore, Blanche l'invita des yeux �� se glisser pr��s d'elle, et ils s'aim��rent.
La jeune marquise oubliait sa maudite n��vralgie, et jamais elle ne fut plus amoureuse, ni plus d��sirable. Elle conservait le souvenir de la douleur, mais sous le charme de la morphine, dans l'apaisement de tout son ��tre, cette douleur la d��sertait pour s'acharner contre une autre femme, et elle plaignait la rempla?ante immat��rielle de tant souffrir.
D'autres ph��nom��nes, au r��veil de l'esprit, se manifest��rent avec les couleurs exactes des tableaux: sa chambre de malade se transforma en un parc magnifique, et la marquise revit le chateau paternel, les Tuili��res, �� la belle saison des vacances. Jeune fille, elle y f��tait ses deux meilleures amies du Sacr��-Coeur, de Limoges: une cousine pauvre, Mathilde de Chastenet, aujourd'hui Mme Gouill��ras, la femme d'un riche marchand de bois, toujours exil��e dans leur trou de province; Genevi��ve Saint-Phar, oh! celle-ci, une demoiselle du dernier train, du dernier bateau, de la derni��re p��rissoire, une doctoresse parisienne que Blanche e?t appel��e �� son lit de douleur, sans la crainte de blesser l'illustre ma?tre Aubertot.
Puis, la dame charm��e se reportait aux jours o�� M. de Montreu engagea sa campagne amoureuse. Tous deux s'adoraient; l'union des La Croze et des Montreu assortissait les avantages de la naissance et la fortune. Mais, il y avait un rival, un jeune homme ��galement bien n�� et plus millionnaire qu'Olivier--un voisin, le seigneur du chateau des Ormes, le comte Raymond de Pontaillac, alors lieutenant de cuirassiers.
Mlle de La Croze n'h��sita pas: le grand Raymond l'effrayait, et elle choisit Olivier, malgr�� peut-��tre les d��sirs de son p��re.
Les relations se firent tr��s rares entre les Montreu-La Croze et Pontaillac. Cependant, apr��s la naissance de Jeanne, l'officier en cong�� se pr��senta aux Tuili��res. D��sormais, tout nuage s'��vanouit; Raymond traitait Blanche en camarade, parlait �� Olivier de ses ma?tresses.
A Paris, le feu s'��tait r��veill��, embrasant le coeur et les sens du capitaine, et l'homme dut abriter sa passion irr��sistible, sous les dehors d'un violent amour, d'un amour de parade pour la Stradowska.

III
Villa Sa?d, dans une vaste pi��ce au plafond de cristal et aux murailles tapiss��es de satin rouge et piqu��es d'objets ��tranges, de troph��es, de fa?ences, de poignards, de fusils, de lances, de haches, de fouets de chasse, de t��tes d'animaux, de cornes, de flamberges, de spontons, de hallebardes, d'ombrelles chinoises, de masques, de chapeaux mexicains, de sabres russes, Christine, allong��e sur une montagne de peaux de b��tes, caressait tendrement ses deux grands l��vriers noirs, Bog et Tolgo.
Elle ��tait drap��e d'un peignoir cachemire chaudron ouvert �� partir de la taille sur un panneau de satin soufre brod�� de chrysanth��mes, le fond travaill�� en petits plis �� la ling��re; elle se souleva, prit un
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 43
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.