Morphine | Page 4

Jean-Louis Dubut de Laforest
doses multipli��es que dans les larmes des jours de je?ne. Il n'ali��nait pas sa personnalit�� pour en rev��tir une autre; il ne subissait aucun moi ext��rieur, et demeurait lui-m��me, triste ou gai.
Si la valeur d'amour semblait diminuer, en raison directe des doses morphiniques, il attribuait ce decrescendo �� sa trop longue fr��quentation de la Stradowska, jurant de reverdir pr��s de la marquise de Montreu. Oui, la Pravaz avait toutes les vertus, et on l'accusait injustement d'alt��rer les facult��s g��nitales.
* * * * *
Le lendemain de la modeste f��te, au caf�� de la Paix, Raymond se leva, d��s huit heures, et en petite tenue, monta �� cheval pour se rendre au quartier de cavalerie.
Dans le froid vif, il trottait, le k��pi sur les yeux, les bottes ��peronn��es et luisantes, la tunique moulant sa taille, sous le grand manteau de drap bleu fonc��, le sabre cliquetant--et le cavalier ��tait alerte et joyeux, le long des rues, grace �� l'aiguille ensorceleuse.
Sur le pont de l'Alma, il contempla la Seine, toute noire, au milieu de ses rives blanchies de neige, et plus loin les remorqueurs tra?nant des voitures de bois ou de charbon, les bateaux-mouche d��sert��s, les mariniers grondant contre le brouillard.
Quai d'Orsay, il vit une arm��e de balayeuses, presque toutes de vieilles femmes dont les jupes suintaient l'horrible d��tresse, venues l��, comme en un Sabbat, occup��es �� chasser de leurs balais de sorci��res des tas neigeux; et d��fil��rent ensuite de maigres employ��s avec des visages de pauvres et de longs nez que le froid rougissait et faisait pareils; puis, des ouvriers, puis, des voyous, puis, des filles en cheveux raccrochant les redingotes matinales de leurs doigts crev��s d'engelures; puis, des oiseaux ��bouriff��s �� la cime des arbres nus, et piaillant la mis��re.
Tous ces ��tres glac��s, toutes ces choses mortes, il aurait voulu les r��chauffer, les ressusciter de sa mis��ricordieuse tendresse, leur donner un peu de joie. Des mendiants le comprirent; ils entour��rent le cavalier--et Raymond plus heureux fit sa distribution quotidienne plus large.
Un factionnaire lui porta les armes; il salua et passant pr��s du corps de garde, se dirigea vers la cour du quartier.
--Le capitaine est dans un de ses bons jours, dit le sous-officier qui commandait le poste.
--Ne vous y fiez pas, mar��chal des logis, r��pliqua le brigadier. Avec ce sacr�� Pontaillac, on ne sait jamais si c'est du lard ou du cochon!
--Moi, je sais le pourquoi, hasarda un simple cuirassier, fils de famille, et t��te br?l��e.
--Il est cocu?
--Non.
--Il se sao?le?
--Non.
Le mar��chal des logis et ses hommes, la pipe �� la bouche, se group��rent autour du po��le, et le cuirassier instruit leur expliqua les ph��nom��nes de la morphine.
On s'��cria:
--Il ferait mieux de boire des bocks!
--Et m��me des champoreaux!
--Et m��me de la verte!
Apr��s avoir ��cout�� le rapport, le capitaine rejoignit le major Lapouge, �� la salle de visite.
--Veuillez donc, cher ami, me donner un mot. J'ai besoin d'une solution �� soixante pour cent?
--Jamais, capitaine!
--J'irai chez un docteur civil.
--Allez-y! Moi, je ne suis pas un assassin!
Et il lui tourna les talons.
* * * * *
Rentr�� �� son h?tel, Pontaillac fit sa toilette, et il d��jeuna de bon app��tit.
Cl��ment, l'ordonnance qui le servait, un ��norme rougeaud de Normandie, re?ut l'ordre de faire atteler le coup��.
Mais, Raymond jugea qu'il avait encore quelques minutes, et, le cigare aux dents, il visita l'h?tel, anim�� du d��sir de le meubler �� neuf pour une heure b��nie, celle o�� la marquise de Montreu daignerait y appara?tre.
Oh! ce jour-l��, il voulait une restauration compl��te, depuis les si��ges et les tentures jusqu'aux boiseries, aux glaces et aux lit��es, et tout serait boulevers��, en cette demeure batie au si��cle dernier par un financier amant d'une danseuse de l'Op��ra: tout rayonnerait d'une virginit�� nouvelle, les salons, les chambres, le fumoir, la biblioth��que, l'office, les remises, les ��curies, les jardins--et seules, puisqu'elles avaient droit �� l'immortalit��, vivraient toujours jeunes, les admirables peintures de Boucher.
A deux heures, le capitaine montait en voiture, et ordonnait, tremblant d'amour:
--A l'h?tel de Montreu!
* * * * *
Lorsque Pontaillac entra dans la biblioth��que du marquis Olivier, celui-ci ��tait debout et pale devant le foyer qui allumait de ses ors les marbres, les bronzes, les cuirs de Cordoue, les reliures pr��cieuses et le double blason des Montreu et des La Croze.
--Qu'as-tu donc, Olivier? demanda Raymond, avant m��me d'avoir serr�� la main du marquis.
--Je suis inquiet; ma femme est souffrante.
--Rien de grave, n'est-ce pas? balbutia le visiteur qu'une angoisse envahissait.
--Je l'esp��re. Aubertot est aupr��s d'elle; il m'a renvoy��, et j'attends.
Raymond n'osait plus regarder l'ami qu'il voulait trahir, le gracieux gentilhomme aux cheveux blonds, �� l'oeil doux et r��veur, �� la barbe mousseuse taill��e en pointe, dont la fragile et ��l��gante silhouette envelopp��e d'une robe de chambre en velours noir tr��s simple contrastait si fort avec la puissance du beau soldat.
--Hier encore, �� l'Op��ra, la marquise ��tait gaie, souriante.
--Oui, mais, ce matin, en d��jeunant,
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