s'en trouva bien, et maintenant il employait la morphine contre toute sensation anormale.
--Je ne mangeais plus, je ne dormais plus, je ne buvais plus: Une piq?re! Je mange, dors et bois. J'��tais triste; je suis joyeux!
--Et... l'amour? interrogea timidement Luce Molday.
--Oh! ma ch��re, l'amour, en cela comme pour le reste, on a calomni�� la morphine!
Il expliqua la mani��re de se servir de la morphine, tira de sa poche un petit ��crin o�� sur un lit de velours noir dormait la Pravaz, une soeur de l'amie confisqu��e par le major Lapouge: �� c?t�� d'elle, parall��lement, scintillaient deux aiguilles d'acier perc��es dans leur longueur, et au fond de la bo?te s'enroulait un peloton de fil d'argent aussi t��nu qu'un cheveu; ensuite, il montra le petit flacon gardien de l'incomparable tr��sor.
Lucy demanda:
--L'aiguille doit faire bien du mal?
--Non, r��pondit le capitaine.
Et comme il se trouvait seul avec ses amis et que dans les autres salles les gar?ons rangeaient sur des tables de marbre, en un amoncellement de bois noir et de rouge velours, les chaises d��sert��es, Pontaillac ob��it �� cette belle ardeur d'apologiste qui caract��rise tous les morphinomanes:
--Vous allez voir!
Le jeune homme mit �� nu son bras d'hercule, ?�� et l�� marqu�� d'arabesques bizarres, et d'un coup sec, il enfon?a l'aiguille en pleine chair. Elle glissa dans les tissus; elle fut retir��e sans qu'il s'��chappat une goutte de sang et que le visage du capitaine manifestat la moindre inqui��tude.
Cette exp��rience eut le pouvoir d'arracher des cris d'admiration aux deux horizontales.
--Vous le voyez, mesdames, j'op��re moi-m��me, et sans douleur, tel un dentiste de la foire!
Il allait remplir la Pravaz.
--Qui en veut?
--Pas pour cent louis! hurla Th��r��se.
--Folle, c'est le Paradis!
--Eh bien, puisqu'avant ?a ne fait pas de mal et qu'apr��s ?a fait tant de plaisir, j'essaierai! d��clara Luce Molday.
Sur le boulevard des Italiens, on se s��para. Le major Lapouge et Arnould-Castellier marchaient �� pied vers leur domicile respectif; Jean de Fayolle et L��on Darcy insist��rent pour entra?ner Raymond dans un restaurant de nuit o�� ils soupaient avec les dames. Mais l'amant de la Pravaz h��la une voiture de cercle, et donna l'ordre de le conduire chez son autre ma?tresse, la Stradowska.
* * * * *
Avait-il tort ou raison, le major Lapouge? Est-ce que vraiment Pontaillac, ce male superbe, ��tait domin��, violent��, �� jamais bris�� par la morphine? Qui l'emporterait de la belle Stradowska ou de la Pravaz? Ni l'une, ni l'autre, peut-��tre, ou bien une troisi��me idole, car d��j��, tout br?lant du souvenir de la marquise Blanche de Montreu--de la grande dame qu'il venait de saluer �� l'Op��ra, de la patricienne d��sir��e--le comte de Pontaillac oubliait ses deux autres ma?tresses charm��es et vaincues, pour s'en aller r��ver d'une nouvelle et plus difficile conqu��te, en son h?tel, rue Boissy-d'Anglas.
II
Depuis quinze mois que Pontaillac ��tait sous l'influence du poison mondain, ses id��es tenaient �� la fois du songe et du r��el.
Il se faisait en lui un d��doublement sp��cial de la personnalit��. A l'encontre des hyst��riques de premi��re grandeur chez lesquels les ph��nom��nes de condition seconde excluent le libre arbitre, Raymond vivait et raisonnait dans les deux ��tats: loin d'abolir le sens intellectuel, la morphine le surexcitait, et l'on se trouvait en pr��sence d'un homme libre, et non pas devant un fou qui ��chappe �� l'historien de moeurs et rel��ve seulement de l'art m��dical.
Gentilhomme limousin, ancien ��l��ve de Saint-Cyr, capitaine brevet�� de l'��cole de guerre, le comte de Pontaillac aimait son m��tier. Il avait l'estime des chefs et des camarades, et les soldats eux-m��mes, les pauvres surtout, appr��ciaient l'officier brillant et au coeur g��n��reux.
Mais, dans le magnifique h?tel de la rue Boissy-d'Anglas, comme au cercle voisin: L'��patant, comme au quartier de cavalerie, comme chez sa ma?tresse la Stradowska et chez les Montreu, ses nobles amis du boulevard Malesherbes, partout enfin, on pouvait remarquer les brusques changements du jouet de la Pravaz, ses multiples ��tats et les sympt?mes d'une intoxication progressive.
Lui ne voyait rien et s'enorgueillissait de vaincre la douleur. De m��me qu'apr��s un duel sans motif grave, il s'��tait piqu�� pour endormir une blessure l��g��re, ainsi il recourait �� la morphine, d��s le moindre bobo, toujours aiguillonn�� par le besoin, en dehors de toute souffrance caract��ris��e.
A l'entendre, s'il dormait mal, les insomnies venaient d'un mauvais estomac ou d'une irr��gularit�� du coeur. Il se d��couvrait des l��sions morbides et justifiait le diagnostic en confondant la torture des privations avec des maladies imaginaires, si vite disparues, au renouveau de l'enchanteresse.
D'abord, ce furent des sentiments de bien-��tre et de b��atitude, une ivresse d��licieuse, un Nirvana boudhique, des extases, tout un horizon de volupt��s, un r��veil de l'esprit, une acc��l��ration de la pens��e, une double vie.
Quand l'habitude amoindrit les effets du poison, le morphinomane eut une personnalit��, non pas enti��rement d��doubl��e comme celle de quelques n��vropathes, mais diverse et toujours consciente, en pleine identit�� du moi, aussi bien dans le rire succ��dant aux
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