peu tranquille, mademoiselle, et ne dites pas de sottises.
--Soit, monsieur le curé, mais avouez que Judith ne valait pas deux sous??
Le curé s'adossa à la cheminée et introduisit délicatement une prise de tabac dans ses fosses nasales.
?Permettez, ma petite; cela dépend du point de vue auquel on se place.
--Que vous êtes peu logique! dis-je. Vous trouvez superbe l'action de Judith, parce qu'elle délivrait quelques méchants Israélites qui ne me valaient certainement pas, et qui ne devraient guère vous intéresser, puisqu'ils sont morts et enterrés depuis si longtemps!... et vous trouveriez très mal que j'en fisse autant pour ma propre délivrance! Et Dieu sait que je suis bien en vie! ajoutai-je en pirouettant plusieurs fois sur mes talons.
--Vous avez bonne opinions de vous-même, répondit le curé, qui s'effor?ait de prendre un air sévère.
--Ah! excellente!
--Voyons! voulez-vous m'écouter, maintenant?
--Je suis s?re, dis-je en poursuivant mon idée, qu'Holopherne était infiniment plus agréable que ma tante, et que je me serais parfaitement entendue avec lui. Par conséquent, je ne vois pas trop ce qui m'empêcherait d'imiter Judith.
--Reine! cria le curé en frappant du pied.
--Mon cher curé, ne vous fachez pas, je vous en prie; vous pouvez vous rassurer, je ne tuerai pas ma tante, j'ai un autre moyen pour me venger.
--Contez-moi cela?, dit l'excellent homme, déjà radouci et se laissant tomber sur un canapé.
Je m'assis à c?té de lui.
?Voilà! Vous avez entendu parler de mon oncle de Pavol?
--Certainement; il demeure près de V...
--Fort bien. Comment s'appelle sa propriété?
--Le Pavol.
--Alors, en écrivant à mon oncle au chateau de Pavol, près de V..., la lettre arriverait s?rement?
--Sans doute.
--Eh bien, monsieur le curé, ma vengeance est trouvée. Vous savez que si ma tante ne m'aime pas, en revanche elle aime mes écus?
--Mais, mon enfant, où avez-vous appris cela? me dit le curé, ahuri.
--Je le lui ai entendu dire à elle-même; ainsi je suis s?re de ce que j'avance. Elle craint par-dessus tout je ne me plaigne à M. de Pavol et que je ne lui demande de me prendre chez lui. Je compte la menacer d'écrire à mon oncle; et il n'est pas dit, continuai-je après un instant de réflexion, que je ne le fasse pas un jour ou l'autre.
--Allons! c'est assez innocent, dit le bon curé en souriant.
--Vous voyez! m'écriai-je en battant des mains, vous m'approuvez!
--Oui, jusqu'à un certain point, ma petite, car il est clair que vous ne devez pas être battue, mais je vous défends l'impertinence. Ne vous servez de votre arme qu'en cas de légitime défense, et rappelez-vous que si votre tante a des défauts, vous devez cependant la respecter et ne point être agressive.?
Je fis une moue significative.
?Je ne vous promets rien... ou plut?t, tenez, pour être franche, je vous promets de faire précisément le contraire de ce que vous venez de dire.
--C'est une véritable révolte!... Je finirai par me facher, Reine.
--C'est plus qu'une révolte, répliquai-je d'un ton grave, c'est une révolution.
--J'en perdrai la patience et la vie, marmotta le curé. Mademoiselle de Lavalle, faites-moi le plaisir de vous soumettre à mon autorité.
--écoutez, repris-je d'un ton calin, je vous aime de tout mon coeur, vous êtes même la seule personne que j'aime au monde...?
Le visage du curé s'épanouit.
?Mais je déleste, j'exècre ma tante; mes sentiments ne varieront jamais sur ce sujet. J'ai beaucoup plus d'esprit qu'elle...?
Ici le curé, dont l'expression s'était rembrunie, m'interrompit par une vive exclamation.
?Ne protestez pas, repris-je en le regardant en dessous, vous savez bien que vous êtes de mon avis.
--Quelle éducation, quelle éducation! murmura le curé d'un ton piteux.
--Monsieur le curé, mon salut n'est pas compromis, soyez tranquille; je vous retrouverai un jour ou l'autre dans le ciel. Je reprends: ayant donc beaucoup plus d'esprit que ma tante, il me sera facile de la tourmenter en paroles. Hier soir, je me suis promis à moi-même de lui être très désagréable. J'ai pris la lune et les étoiles à témoin de mon serment.
--Mon enfant, me dit le curé sérieusement, vous ne voulez pas m'écouter, et vous vous en repentirez.
--Bah! c'est ce que nous verrons!... J'entends ma tante, elle est furieuse, car c'est moi qui ai laché la vache, les lapins et les chapons, afin de rester seule avec vous. Donnez-lui une semonce, monsieur le curé; je vous assure qu'elle m'a battue bien fort, j'ai des marques noires sur les épaules.?
Ma tante entra comme un ouragan, et le curé, complètement abasourdi, n'eut pas le temps de me répondre.
?Reine, venez ici!? cria-t-elle, le visage empourpré par la colère et la course désordonnée qu'elle avait d? faire après les lapins.
Je lui fis un grand salut.
?Je vous laisse avec le curé?, dis-je en adressant un signe d'intelligence à mon allié.
La croisée, fort heureusement, était ouverte.
Je sautai sur une chaise, j'enjambai l'appui de la fenêtre et me laissai glisser dans le jardin, au grand ébahissement de ma tante, qui s'était placée devant la porte pour
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