Mon oncle et mon curé; Le voeu de Nadia | Page 7

Alice Cherbonelle
ma chambre, très agacée, et, restant longtemps accoudée à la fenêtre, je pris la lune, les étoiles, les arbres à témoin que je formais la résolution immuable de ne plus me laisser battre, de ne plus avoir peur de ma tante et d'employer tout mon esprit à lui être désagréable.
Et laissant tomber les pétales d'une fleur que j'effeuillais, je jetai en même temps au vent mes craintes, ma pusillanimité, mes timidités d'autrefois. Je sentis que je n'étais plus la même personne et m'endormis consolée.
Dans la nuit, je rêvai que ma tante, transformée en dragon, luttait contre Fran?ois Ier qui la pourfendait de sa grande épée. Il me prenait dans ses bras et s'envolait avec moi, tandis que le curé nous regardait d'un air désolé et s'essuyait le visage avec son mouchoir à carreaux. Il le tordait ensuite de toutes ses forces, et la sueur en découlait comme s'il l'avait trempé dans la rivière.

III
Le lendemain, à peine étions-nous installés à notre table, le curé et moi, que la porte s'ouvrit avec fracas et que nous v?mes entrer Perrine, le bonnet sur la nuque et ses sabots bourrés de paille à la main.
?Le feu est-il à la maison? demanda ma tante.
--Non, madame, mais le diable est chez nous, bien s?r! La vache est dans le champ d'orge qui poussait si bien, elle ravage tout, je ne peux pas la rattraper; les chapons sont sur le toit et les lapins dans le potager.
--Dans le potager! exclama ma tante, qui se leva en me lan?ant un regard courroucé, car ledit potager était un lieu sacré pour elle et l'objet de ses seules amours.
--Mes beaux chapons! grogna Suzon, qui jugea à propos de faire une apparition et d'unir sa note bourrue à la note criarde de sa ma?tresse.
--Ah! péronnelle!? cria ma tante.
Elle se précipita à la suite des domestiques en frappant la porte avec colère.
?Monsieur le curé, dis-je aussit?t, croyez-vous que, dans l'univers entier, il y ait une femme aussi abominable que ma tante?
--Eh bien, eh bien, ma petite, que veut dire ceci?
--Savez-vous ce qu'elle a fait hier, monsieur le curé? Elle m'a battue!
--Battue! répéta le curé d'un ton incrédule, tant il lui paraissait incroyable qu'on osat toucher seulement du bout du doigt à un petit être aussi délicat que ma personne.
--Oui, battue! et si vous ne me croyez pas, je vais vous montrer la trace des coups.?
à ces mots, je commen?ai à déboutonner ma robe. Le curé regarda devant lui d'un air effaré.
?C'est inutile, c'est inutile! je vous crois sur parole, s'écria-t-il précipitamment, le visage cramoisi et baissant pudiquement les yeux sur la pointe de ses souliers.
--Me battre le jour de mes seize ans! repris-je en rattachant ma robe. Savez-vous que je la déteste!?
Et je frappai la table de mon poing fermé, ce qui me fit grand mal.
?Voyons, voyons, mon bon petit enfant, me dit le curé tout ému, calmez-vous et racontez-moi ce que vous aviez fait.
--Rien du tout! Quand vous êtes parti, elle m'a appelée effrontée et s'est jetée sur moi comme une furie. La vilaine femme!
--Allons, Reine, allons, vous savez qu'il faut pardonner les injures.
--Ah! par exemple! m'écrirai-je en reculant brusquement ma chaise et en me promenant à grands pas dans le salon, je ne lui pardonnerai jamais, jamais!?
Le curé se leva de son c?té et se mit à marcher en sens inverse de moi, de sorte que nous continuames la conversation en nous croisant continuellement, comme l'ogre et le petit Poucet, quand celui-ci a volé une des bottes de sept lieues et que le monstre est à sa poursuite.
?Il faut être raisonnable, Reine, et prendre cette humiliation en esprit de pénitence, pour la rémission de vos péchés.
--Mes péchés! dis-je en m'arrêtant et en haussant légèrement les épaules; vous savez bien, monsieur le curé, qu'ils sont si petits, si petits que ce n'est pas la peine d'en parler.
--Vraiment! dit le curé qui ne put réprimer un sourire. Alors, puisque vous êtes une sainte, prenez vos ennuis en patience pour l'amour de Dieu.
--Ma foi, non! répliquai-je d'un ton très décidé. Je veux bien aimer le bon Dieu un peu..., pas trop,--ne froncez pas le sourcil, monsieur le curé,--mais j'entends qu'il m'aime assez pour ne point être satisfait de me voir malheureuse.
--Quelle tête! s'écria le curé. Quelle éducation j'ai faite là!
--Enfin, continuai-je en me remettant en marche, je veux me venger, et je me vengerai.
--Reine, c'est très mal. Taisez-vous et écoutez-moi.
--La vengeance est le plaisir des dieux, répondis-je en sautant pour attraper une grosse mouche qui voltigeait au-dessus de ma tête.
--Parlons sérieusement, ma petite.
--Mais je parle sérieusement, dis-je en m'arrêtant un instant devant une glace pour constater avec quelque complaisance que l'animation m'allait très bien. Vous verrez, monsieur le curé! je prendrai un sabre et je décapiterai ma tante, comme Judith avec Holopherne.
--Cette enfant est enragée! s'écria le curé d'un air désolé. Restez un

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