me couper la retraite.
Je confesse que je fis semblant de me sauver, mais qu'en réalité je me cachai derrière un laurier et que j'entrai dans un accès de jubilation sans pareil en écoutant les reproches du curé et les exclamations furibondes de ma tante.
Le soir, pendant le d?ner, elle avait l'air gracieux d'un dogue auquel on a pris un os.
Elle grognait Suzon qui l'envoyait promener, maltraitait son chat, jetait l'argenterie sur la table en faisant un tapage affreux; enfin, exaspérée par mon air impassible et moqueur, elle prit une carafe et la lan?a par la fenêtre.
Je saisis aussit?t un plat de riz, auquel elle n'avait pas encore go?té, et le précipitai à la suite de la carafe.
?Misérable pécore! hurla ma tante en s'élan?ant sur moi.
--N'approchez pas, dis-je en reculant; si vous me touchez, j'écris ce soir même à mon oncle de Pavol.
--Ah!... dit ma tante, qui resta pétrifiée, le bras en l'air.
--Si ce n'est pas ce soir, repris-je, ce sera demain ou dans quelques jours, car je ne veux pas être battue.
--Votre oncle ne vous croira pas! cria ma tante.
--Oh! que si!... Vos doigts ont laissé leur empreinte sur mes épaules. Je sais qu'il est très bon et je m'en irai avec lui.?
Je n'avais certes aucune notion sur le caractère de mon oncle, étant agée de six ans quand je l'avais vu pour la première et la dernière fois. Mais je pensai que je devais para?tre en savoir très long sur son compte et que je faisais preuve ainsi d'une grande diplomatie.
Je sortis majestueusement, laissant ma tante s'épancher dans le sein de Suzon.
IV
La guerre était déclarée et, dès lors, je passai mon temps à lutter contre Mme de Lavalle. Autrefois, j'osais à peine ouvrir la bouche devant elle, excepté quand le curé était en tiers entre nous; elle m'imposait silence avant même que j'eusse fini ma phrase.
J'affirme que cette manière de procéder m'était particulièrement pénible, car je suis extrêmement bavarde. Je me dédommageais bien un peu avec le curé, mais c'était absolument insuffisant; aussi avais-je pris l'habitude de parler tout haut avec moi-même. Il m'arrivait souvent de me planter devant mon miroir et de causer avec mon image durant des heures entières...
Mon cher miroir! ami fidèle! confident de mes plus secrètes pensées!
Je ne sais si les hommes ont jamais réfléchi sérieusement à l'influence énorme que ce petit meuble peut exercer sur un esprit. Remarquez que je ne détermine pas le sexe de cet esprit, étant bien convaincue que les individus barbus tiennent autant que nous au plaisir d'observer leurs qualités extérieures.
Si j'écrivais un ouvrage philosophique, je traiterais cette question: ?De l'influence du miroir sur l'intelligence et le coeur de l'homme.?
Je ne nie pas que mon traité serait peut-être unique dans son espèce, qu'il ne ressemblerait en aucune fa?on à la philosophie dans laquelle Kant, Fichte, Schelling, etc..., ont pataugé toute leur vie pour leur plus grande gloire et le bonheur bien grand de la postérité, qui les lit avec un plaisir d'autant plus vif qu'elle n'y comprend rien. Non, mon traité n'irait point sur les brisées de ces messieurs: il serait clair, net, pratique, avec une pointe de causticité, et il faudrait pousser bien loin l'amour de la contradiction pour ne pas convenir que ces qualités ne sont point l'apanage des philosophies ci-dessus mentionnées. Mais, ne trouvant pas mon intelligence assez m?re pour ce grand oeuvre, je me contente de conserver à mon miroir une sincère affection et de m'y regarder chaque jour très longtemps, par esprit de reconnaissance.
Je sais bien que, devant cette révélation, quelques-uns de ces esprits facheux, grincheux, qui voient tout en noir, insinueront que la coquetterie joue un grand r?le dans le sentiment que je prétends éprouver pour mon miroir. Mon Dieu! on n'est point parfait! et remarquez, beau lecteur, que si vous êtes de bonne foi, ce qui n'est pas certain, vous avouerez que l'intérêt personnel, pour ne pas dire un plus gros mot, tient la première place dans la plupart de vos sentiments.
Pour en revenir à mon sujet, je dirai que, ayant rompu complètement avec mes anciennes terreurs, je ne cherchais plus à modérer ma loquacité devant ma tante. Il ne se passait pas un repas sans que nous eussions des discussions qui mena?aient de dégénérer en tempêtes.
Quoique je ne connusse pas encore son origine, je n'avais pas tardé à découvrir qu'elle était ignorante comme une carpe, et qu'elle éprouvait une vive contrariété quand j'appuyais mes opinions sur mon savoir ou sur celui du curé. Du reste, je n'hésitais jamais à donner la qualification d'historiques à des idées tirées de mon propre cerveau. Malheureusement, il m'était impossible de lutter contre l'expérience personnelle de ma tante, et, lorsqu'elle m'affirmait que les choses se passaient de telle et telle fa?on dans le monde, que les hommes n'étaient guère que des sacripants, des supp?ts de Satan, j'enrageais,
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.