Mon oncle et mon curé; Le voeu de Nadia | Page 6

Alice Cherbonelle
l'amour du prochain, il me semble que Fran?ois Ier mettait en pratique votre précepte favori: Aimez le prochain comme vous-même pour l'amour de Dieu.?
à peine eus-je fini ma phrase que le curé, essuyant son visage sur lequel coulaient de grosses gouttes de sueur, se renversa dans son fauteuil et, les deux mains sur le ventre, s'abandonna à un rire homérique qui dura si longtemps que des larmes de dépit et de contrariété m'en vinrent aux yeux.
?En vérité, dis-je d'une voix tremblante, j'ai été bien sotte de me donner tant de mal pour apprendre ma le?on et vous faire admirer Fran?ois Ier.
--Mon bon petit enfant, me dit-il enfin, reprenant son sérieux et employant son expression favorite lorsqu'il était content de moi, ce qui m'étonna beaucoup, mon bon petit enfant, je ne savais pas que vous professiez une telle admiration pour les gens qui mettent en pratique la vertu de charité.
--Dans tous les cas, ce n'est pas risible, répondis-je d'un ton maussade.
--Allons, allons, ne nous fachons pas.?
Et le curé, me donnant une petite tape sur la joue, abrégea la le?on, me dit qu'il reviendrait le lendemain et s'en alla confisquer la clef de la bibliothèque qu'il connaissait sans que je m'en doutasse.
Il n'avait pas encore quitté la cour que ma tante s'élan?ait sur moi, et me secouant à m'en disloquer l'épaule:
?Vilaine péronnelle! qu'avez-vous dit, qu'avez-vous fait pour que le curé s'en aille si t?t?
--Pourquoi vous mettez-vous en colère, dis-je, si vous ne savez pas ce dont il est question?
--Ah! je ne sais pas! n'ai-je pas entendu ce que vous disiez au curé, effrontée??
Jugeant que les paroles ne suffisaient pas pour exhaler sa colère, elle me donna un soufflet, me frappa rudement, et me mit à la porte comme un petit chien.
Je m'enfuis dans ma chambre, où je me barricadai solidement. Mon premier soin fut d'?ter ma robe, et de constater dans la glace que les doigts secs et maigres de ma tante avaient laissé des marques bleues sur mes épaules.
?Vile petite esclave, dis-je en montrant le poing à mon image, supporteras-tu longtemps des choses pareilles? Faut-il que, par lacheté, tu n'oses pas te révolter??
Je m'admonestai durement pendant quelques minutes, puis la réaction se produisant, je tombai sur une chaise et pleurai beaucoup.
?Qu'ai-je donc fait, pensai-je, pour être traitée ainsi? La vilaine femme! Ensuite, pourquoi le curé avait-il une si dr?le de figure pendant que je lui récitais ma le?on??
Et je me mis à rire, tandis que des larmes coulaient encore sur mes joues. Mais j'eus beau creuser ce problème, je n'en trouvai pas la solution.
M'approchant de la fenêtre ouverte, je contemplai mélancoliquement le jardin et je commen?ais à reprendre mon sang-froid, quand il me sembla reconna?tre la voix de ma tante qui causait avec Suzon. Je me penchai un peu pour écouter leur conversation.
?Vous avez tort, disait Suzon, la petite n'est plus une enfant. Si vous la brutalisez, elle se plaindra à M. de Pavol, qui la prendra chez lui.
--Je voudrais bien voir ?a! Mais comment voulez-vous qu'elle songe à son oncle? C'est à peine si elle conna?t son existence.
--Bah! la petite est futée! il lui suffira d'un instant de mémoire pour vous envoyer promener, si vous la rendez malheureuse, et ses bons revenus dispara?tront avec elle.
--Ah! bien, nous verrons... Je ne la battrai plus, mais...?
Elles s'éloignaient, et je n'entendis pas la fin de la phrase.
Après le d?ner, où je refusai de para?tre, j'allai trouver Suzon.
Suzon avait été l'amie de ma tante avant de devenir sa cuisinière. Elles se disputaient dix fois par jour, mais ne pouvaient pas se passer l'une de l'autre. On aura peine à me croire, si je dis que Suzon aimait sincèrement sa ma?tresse; cependant c'est l'exacte vérité.
Mais si elle pardonnait à ma tante personnellement son élévation dans l'échelle sociale, elle s'en prenait, sans doute, au prochain, aux circonstances et à la vie, car elle grognait toujours. Elle avait la mine rébarbative d'un voleur de grands chemins, et portait constamment des cotillons courts et des souliers plats, bien qu'elle n'allat jamais à la ville vendre du lait et que son imagination ne trottat point comme celle de Perrette.
?Suzon, lui dis-je en me pla?ant devant elle d'un air délibéré, je suis donc riche?
--Qui vous a dit cette sottise, mademoiselle?
--Cela ne te regarde pas, Suzon; mais je veux que tu me répondes et me dises où demeure mon oncle de Pavol.
--Je veux, je veux, grogna Suzon; il n'y a plus d'enfant, ma parole! Allez vous promener, mademoiselle! Je ne vous dirai rien, parce que je ne sais rien.
--Tu mens, Suzon, et je te défends de me répondre ainsi. J'ai entendu ce que tu disais à ma tante tout à l'heure!
--Eh bien, mademoiselle, si vous avez entendu, ce n'est pas la peine de me faire parler.?
Suzon me tourna le dos et ne voulut répondre à aucune de mes questions.
Je remontai dans

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