je tirai les conclusions suivantes: Premièrement, ayant découvert, depuis un mois, que mon existence était monotone, qu'il me manquait beaucoup de choses, que la possession d'un curé, d'une tante, de poules et de lapins ne suffisait point au bonheur, je décidai qu'une joyeuse vie étant évidemment le contraire de la mienne, Fran?ois Ier avait fait preuve d'un grand jugement en la choisissant;
Deuxièmement, qu'il professait certainement la sainte vertu de charité prêchée par mon curé, puisqu'il aimait tant les femmes;
Troisièmement, qu'Anne de Pisseleu était une heureuse personne, et que j'aurais bien voulu qu'un roi me donnat un comté érigé en duché pour m'être ?moult agréable?.
?Bravo! m'écriai-je en lan?ant le livre au plafond et en le rattrapant lestement. Voici de quoi confondre le curé et le convertir à mon opinion.?
Le soir, dans mon lit, je relus la petite biographie.
?Quel brave homme que ce Fran?ois Ier! me dis-je. Mais pourquoi l'auteur ne parle-t-il que de son affection pour les femmes? Pourquoi n'a-t-il pas écrit qu'il aimait aussi les hommes? Après tout, chacun a son go?t! mais si je juge les femmes d'après ma tante, je crois que j'aurais une préférence marquée pour les hommes.?
Puis je me rappelai que le biographe était du sexe masculin, et je pensai qu'il avait sans doute cru poli, aimable et modeste, de se passer sous silence, lui et ses congénères.
Je m'endormis sur cette idée lumineuse.
Le lendemain, je me levai fort contente. D'abord j'avais seize ans; ensuite, la petite créature, qui se regardait dans la glace, examinait un visage qui ne lui déplaisait pas; puis je fis deux ou trois pirouettes en songeant à la stupéfaction du curé devant ma science nouvelle.
Dans mon impatience, j'étais installée à ma table depuis un temps assez long, quand il arriva, rose et souriant. à sa vue, le coeur me battit un peu, comme celui des grands capitaines à la veille d'une bataille.
?Voyons, ma petite, me dit-il quand les devoirs furent corrigés et qu'il eut fait la grimace sur leur laconisme, passons à Fran?ois Ier, et examinons-le sous toutes les faces.?
Il s'établit commodément dans son fauteuil, prit sa tabatière d'une main, son mouchoir de l'autre, et, me regardant de c?té, se prépara à soutenir la discussion qu'il prévoyait.
Je partis à fond de train sur mon sujet; je m'agitai, m'animai, m'enthousiasmai; j'appuyai beaucoup sur les qualités pr?nées dans mon histoire, après quoi je passai à mes connaissances particulières.
?Et quel charmant homme, monsieur le curé! Sa taille était majestueuse, sa figure noble et belle; une si jolie barbe taillée en pointe et de si beaux yeux!?
Je m'arrêtai un instant pour reprendre haleine, et le curé, effarouché, se dressant tout raide comme ces diablotins à ressort enfermés dans des bo?tes en carton, s'écria:
?Où avez-vous pris ces balivernes, mademoiselle?
--Ceci, c'est mon secret?, dis-je avec un petit sourire mystérieux.
Et br?lant mes vaisseaux:
?Monsieur le curé, je ne sais pas ce que vous a fait ce pauvre Fran?ois Ier! Savez-vous qu'il avait beaucoup de jugement? Il menait joyeuse vie et aimait prodigieusement les femmes.?
Alors les yeux du curé s'ouvrirent si grands que j'eus peur de les voir éclater. Il cria: ?Saint Michel! saint Barnabé!? et laissa tomber sa tabatière avec un bruit si sec, que le chat, étendu dans une bergère, sauta à terre avec un miaulement désespéré.
Ma tante, qui dormait, se réveilla en sursaut et s'écria:
?Vilaine bête!?
En s'adressant à moi, non au chat, sans savoir de quoi il s'agissait. Mais cette épithète composait invariablement l'exorde et la péroraison de tous ses discours.
Certes, je m'attendais à produire un grand effet; cependant, je restai un peu interdite devant la physionomie vraiment extraordinaire du curé.
Mais je repris bient?t imperturbablement:
?Il aima particulièrement une belle dame à laquelle il donna un duché. Avouez, monsieur le curé, qu'il était bien bon, et que c'e?t été bien agréable d'être à la place d'Anne de Pisseleu?
--Sainte Mère de Dieu! murmura le curé d'une voix éteinte, cette enfant est possédée!
--Qu'y a-t-il? cria ma tante en transper?ant son chignon d'une de ses aiguilles à tricoter. Mettez-la à la porte, si elle se permet des impertinences.
--Mon enfant, reprit le curé, où avez-vous appris ce que vous venez de me dire?
--Dans un livre, répondis-je laconiquement, sans faire mention de la bibliothèque.
--Et comment pouvez-vous répéter de telles abominations?
--Abominations! dis-je, scandalisée. Quoi! monsieur le curé, vous trouvez abominable que Fran?ois Ier f?t généreux et aimat les femmes! Vous ne les aimez donc pas, vous?
--Que dit-elle? rugit ma tante, qui, m'écoutant attentivement depuis quelques instants, tira de ma question les pronostics les plus désastreux. Petite effrontée! vous...
--Paix, ma bonne dame, paix! interrompit le curé, paraissant-en ce moment soulagé d'un grand poids. Laissez-moi m'expliquer avec Reine. Voyons, que trouvez-vous de louable dans la conduite de Fran?ois Ier?
--Vraiment, c'est bien simple, répondis-je d'un ton un peu dédaigneux, en songeant que mon curé vieillissait et commen?ait à avoir la compréhension lente. Vous me prêchez tous les jours
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