jour, que la raison est la plus belle faculté de l'homme.
--Sans doute, sans doute, quand il sait s'en servir. Puis, je parlais de l'homme fait, et non des petites filles.
--Monsieur le curé, le petit oiseau essaie ses forces au bord du nid.?
L'excellent homme, un peu déconcerté, s'ébouriffait les cheveux avec énergie, ce qui lui donnait l'air d'une tête de loup poudrée à blanc.
?Vous avez tort de tant discuter, ma petite, me disait-il quelquefois; c'est un péché d'orgueil. Vous ne m'aurez pas toujours pour vous répondre, et quand vous serez aux prises avec la vie, vous apprendrez qu'on ne discute pas avec elle, qu'on la subit.?
Mais je me souciais bien de la vie! J'avais un curé pour exercer ma logique, et cela me suffisait.
Lorsque je l'avais bien taquiné, ennuyé, harcelé, il s'effor?ait de donner à son visage une expression sévère, mais il était obligé de renoncer à son projet, sa bouche, toujours souriante, se refusant absolument à lui obéir.
Alors il me disait:
?Mademoiselle de Lavalle, vous repasserez vos empereurs romains, et vous ferez en sorte de ne pas confondre Tibère avec Vespasien.
--Laissons ces bonshommes, monsieur le curé, lui répondais-je, ils m'ennuient. Savez-vous que, si vous aviez vécu de leur temps, ils vous auraient grillé vif, ou arraché la langue et les ongles, ou coupé en petits morceaux menus comme chair à paté!?
à ce sombre tableau, le curé tressaillait légèrement, et s'en allait en trottinant, sans daigner me répondre.
Je savais que son mécontentement était arrivé à son apogée quand il m'appelait Mademoiselle de Lavalle. Ce nom cérémonieux en était la plus vive manifestation, et j'avais des remords, jusqu'au moment où je le voyais appara?tre de nouveau, les cheveux au vent et le sourire aux lèvres.
II
Ma tante me brutalisait quand j'étais enfant, et j'avais tellement peur des coups que je lui obéissais sans discuter.
Elle me battit encore le jour où j'atteignis mes seize ans, mais ce fut pour la dernière fois. à partir de ce jour, fécond pour moi en événements intimes, une révolution, qui grondait sourdement dans mon esprit depuis quelques mois, éclata tout à coup et changea complètement ma manière d'être avec ma tante.
En ce temps-là, le curé et moi nous repassions l'histoire de France, que je me flattais de très bien conna?tre. Il est certain que, étant données les lacunes et les restrictions de mon livre, mon savoir était aussi grand que possible.
Le curé professait pour ses rois un amour poussé jusqu'à la vénération, et, cependant, il n'aimait pas Fran?ois Ier. Cette antipathie était d'autant plus singulière que Fran?ois Ier était valeureux et qu'il est resté populaire. Mais il n'allait pas au curé, qui ne perdait jamais l'occasion de le critiquer; aussi, par esprit de contradiction, je le choisis pour mon favori.
Le jour dont j'ai parlé plus haut, je devais réciter la le?on concernant mon ami. Je ruminai longtemps la veille pour trouver un moyen de le faire briller aux yeux du curé. Malheureusement, je ne pouvais que répéter les expressions de mon histoire, en émettant des opinions qui reposaient beaucoup plus sur une impression que sur un raisonnement.
Il y avait une heure que je me cassais la tête à réfléchir, quand une idée brillante me traversa l'esprit:
?La bibliothèque!? m'écriai-je.
Aussit?t, je traversai en courant un long corridor, et pénétrai, pour la première fois, dans une pièce de moyenne grandeur, entièrement tapissée de rayons couverts de livres réunis entre eux par les fils tenus d'une multitude de toiles d'araignée. Elle communiquait avec les appartements qu'on avait fermés après la mort de mon oncle pour ne plus jamais y entrer; elle sentait tellement le moisi, le renfermé, que je fus presque suffoquée. Je m'empressai d'ouvrir la fenêtre qui, très petite, n'avait ni volets ni persiennes et donnait sur le coin le plus sauvage du jardin; puis je procédai à mes recherches. Mais comment découvrir Fran?ois Ier au milieu de tous ces volumes?
J'allais abandonner la partie, quand le titre d'un petit livre me fit pousser un cri de joie. C'étaient les biographies des rois de France jusqu'à Henri IV exclusivement. Une gravure assez bonne, représentant Fran?ois Ier dans le splendide costume des Valois, était jointe à la biographie. Je l'examinai avec étonnement.
?Est-il possible, me dis-je émerveillée, qu'il y ait des hommes aussi beaux que cela!?
Le biographe, qui ne partageait pas l'antipathie du curé pour mon héros, en faisait l'éloge sans aucune restriction. Il parlait, avec une conviction enthousiaste de sa beauté, de sa valeur, de son esprit chevaleresque, de la protection éclairée qu'il accorda aux lettres et aux arts. Il terminait par deux lignes sur sa vie privée, et j'appris ce que j'ignorais complètement, c'est que:
?Fran?ois Ier menait joyeuse vie et aimait prodigieusement les femmes. Qu'il préféra grandement et sincèrement belle dame Anne de Pisseleu, à laquelle il donna le comté d'étampes, qu'il érigea en duché pour lui être moult agréable.?
De ces quelques mots,
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