Mon amie Nane | Page 7

Paul Jean Toulet
j'admirais que cette poup��e menat �� pareilles r��nes un homme qui passait pour ��nergique. Mais cela est un tort que de d��nigrer les femmes avant de les avoir, et c'est du jour seulement qu'on les a tenues entre deux draps qu'il y en a des raisons s��rieuses.
Je comptais aussi sur cette Noctiluce (Fulvia-Noctilux, comme elle signait) dont les cheveux bleus et les dents en pointe m'avaient s��duit nagu��re. Celle-l�� ��tait d'origine inconnue, et parlait plusieurs langues avec une ��gale difficult��. Elle ne ressemblait �� rien en France, et paraissait m��me d'un autre si��cle: on e?t dit parfois qu'elle sortait d'un Su��tone.
Il y avait en elle toutes les curiosit��s, avec des go?ts dont la police, malheureusement, de notre nation lui rendait l'exercice difficile. Il semblait qu'elle se f?t plus satisfaite ailleurs et gardat des regrets �� ces climats o�� il est loisible encore de se procurer une chair �� meurtrir, esclave et jeune.
Mais, depuis quelques jours, nous nous sentions un peu las l'un de l'autre: la cruaut�� aussi devient une chose insipide �� la longue, si elle n'est qu'imaginative. Ce matin-l�� m��me elle s'excusa de ne pouvoir venir, par les mots suivants:
?Cher ami, un Londonien de passage qui va pour tirer des noirs (il para?t qu'il va y avoir guerre l��-bas) m'offre dans ses chambres un spectacle plus piment�� que votre lunch. C'est tout �� fait des primeurs, dit-il, comme les petits poissons de Capr��e: mais les poissons ne crient pas. Adieu, je viendrai vous dire apr��s. Excuses �� vos amis.
?F.-N.?
Un second bleu m'annon?ait que Jacques ne venait pas non plus:
?Mon cher ami, j'ai ��crit enfin �� Nane pour rompre, et lui annoncer tout. L��-dessus elle m'a jou�� un tour pendable: vous raconterai tout ?a plus tard. Ne comptez donc pas sur nous aujourd'hui. Excuses �� votre amie.
?JACQUES.?
Sans plus esp��rer personne j'allai tout de m��me �� mon atelier: je l'aime parce qu'il est sans cesse envelopp�� d'un silence admirable. Et je pensais faire de la musique; mais je me contentai, pendant pr��s d'une heure, dans un de ces fauteuils profonds qui semblent avoir ��t�� invent��s par la paresse m��me, de contempler, tout en fumant, les damas fan��s, rouges et jaunes, qui retombent de la galerie et voilent le haut de l'orgue. Tout �� coup on sonna: c'��tait Nane.
Elle entre de son pas glissant, allong��, silencieux, qui en fait une chose si belle �� voir marcher, et tandis que je lui baise le creux des mains:
--C'est gentil, dit-elle, chez vous.
Puis elle s'assied, et demeure immobile. Sous des paupi��res pesantes, ses yeux de pierre dure sont vides d'expression, et sa bouche, qui est comme celle d'un enfant, fait sans cesse une petite moue. Elle a l'air, aujourd'hui, d'une chose naturelle, fra?che, qui arriverait de province dans un panier; il s'en d��gage comme l'odeur des foug��res tremp��es par l'orage; et je pense un instant respirer ces bois noirs et frais de chez nous, o�� il y a de l'eau qui court.
--Vous ��tes donc peintre, reprend-elle, que vous avez un atelier?
--A Dieu ne plaise; mais pour avoir droit �� une salle vaste, commode, bien ��clair��e, est-ce qu'il est indispensable de salir de la toile?
--Vous savez, moi je disais ?a pour dire quelque chose.
--Je n'esp��rais plus votre visite: Jacques m'a ��crit pour d��commander.
--Alors, parce que Monsieur se marie, il croit qu'on ne va plus jamais rien faire!
--Du th��, par exemple?
--Merci, j'aimerais mieux une cigarette.
Elle l'allume, et retombe dans cette immobilit�� qui est une de ses graces: on dirait, tant ses mouvements sont rares, qu'ils sont pr��cieux bien plus que ceux des autres ��tres.
Nous nous taisons tous deux; et il semble bien que tous deux nous pensons la m��me chose; c'est qu'il va falloir que je lui fasse quelques doigts de cour: cette obligation de politesse n'��chauffe ni son coeur, sans doute, ni le mien.
Nous nous taisons.
--Galanterie fran?aise, m'��crierais-je, si l'on s'��criait jamais en ces rencontres, pourquoi me faire une n��cessit�� professionnelle de ce qui serait si agr��able, s'il ��tait spontan��. L'inspiration de mes sens ne suffirait-elle pas mieux que la tradition, ou mes lectures, �� me faire presser une main tremblante, un genou qui se d��robe (ou non) et cette taille, o�� il ne semble pas encore que le corset ait marqu�� ses plis. Outre les cas o�� ?a n'est pas dr?le, et que, si Nane ��tait une dame m?re de m��diocre conservation, l'ardeur que j'apporterais �� l'attaque, constamment refroidie par l'effroi de vaincre, me mettrait en ridicule posture. Enfin.
--Vous avez l��, Nane, une bien jolie robe: elle fait valoir vos hanches.
--Vous me l'avez vue plus de cent fois.
--Plus de cent fois? Peut-��tre pas. Et puis il y avait du monde. (Ceci est le d��but de la campagne.)
--Vous ne regardez les robes que dans l'intimit��?
--Et �� l'envers, Nane, comme les feuilles.
Elle rit, languissamment. Je me rapproche d'elle, et je m'efforce d'avoir l'air hardi comme un page.
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