Mon amie Nane | Page 6

Paul Jean Toulet
tout �� fait prenante. Et moi qui l'avait vue cent fois, sans y prendre autrement garde qu'�� tous ces articles de Paris qui plaisent �� notre habitude sans atteindre notre curiosit��, il lui a fallu, pour que je la remarque, se laisser choir avec ��clat d'une imp��riale sur les sordides travaux de l'Orl��ans. D'ailleurs elle ne l'a pas fait expr��s.
--Vous rappelez-vous, Nane, quand nous montions �� la Railli��re, tous les soirs, et que Jacques arborait le b��ret pyr��n��en?
--Vous rappelez-vous comme il soufflait pour monter aussi vite que nous, et ce qu'il avait ��t�� jaloux, un soir que nous avions ��t�� prendre des glaces sans lui?
Je feins de me rappeler tr��s vivement, quoique cette saison �� Cauterets, qui remonte �� deux ans d��j��, ne m'ait laiss�� que des souvenirs confus, au moins quant �� Nane. Mais ce soir je ne saurais lui refuser rien, pas m��me un mensonge.
��tendue tr��s de c?t��, ce qui la fait hancher, sur un de ces longs fauteuils de bord en rotin, o�� il y a un trou �� l'avant-bras pour mettre son verre, elle est toute cal��e de petits coussins et de plaids. Et elle r��veille en moi des images anciennes de voyage. Par-dessous le bruit de nos paroles, ressuscite un peu de pass��: autour d'un pont de paquebot, la miroitante mer des Grandes Indes; et les filaos qui pleurent aux bords d'une ?le; ou bien la grace dormante des cr��oles, si lasses de n'avoir jamais rien fait.
Cependant le d?ner s'est achev��. On sert le caf�� l�� m��me; et Nane, sans plus dire mot, sourit vers moi de sa bouche pu��rile. Il y a quelque chose, ce soir, dans son sourire, que je ne d��m��le pas, et je vais m'asseoir, contre elle, sur le grand fauteuil.
--Vous savez bien, me reproche-t-elle bient?t, que je ne puis pas bouger, que je suis sans d��fense, toute meurtrie... non... vous me faites mal!
--S��rieusement, vous souffrez encore?
--Au fond, pas tant que ?a, reprend-elle. C'est plut?t la m��me chose que si j'avais re?u le fouet....
Peu �� peu le sourire de Nane m'appara?t tout pr��s et tr��s loin; comme les choses que l'on aper?oit encore en s'endormant par un apr��s-midi d'��t��, alors qu'�� travers toute la profondeur d'une muette maison, on n'entend plus rien que, parfois, une porte qui claque, ou le jeune pas de quelque servante sur la dalle des frais corridors.
Il me semble que c'est ainsi, un peu dans un r��ve, que nous avons chang�� de chambre, Nane et moi. On dirait m��me qu'il y a longtemps, si j'en crois un ��tat somptuaire qui aurait ��clair��, sur la nature r��cente de nos relations, les tribunaux les plus borgnes, et jusqu'au regrett�� Pr��sident Magnaud. Nane en est frapp��e aussi.
--Quel dommage, observe-t-elle, que Jacques ne nous voie pas comme ?a.
--Il est un peu tard pour le faire pr��venir, lui dis-je; tandis que je m'occupe de r��parer le d��sordre de ma toilette.
--O�� allez-vous? Est-ce que vous partez? Et elle se pelotonne sous les couvertures.
--Rendez-vous avec un parent de province, �� la sortie des th��atres--vieillard susceptible. Et il est minuit pass��. Pourvu que je trouve une voiture.
--Au lieu de rester �� me soigner, dit-elle mollement.
--Je suis s?r que l'exercice ne vous vaut rien. Bonsoir. A demain, ici, cinq heures, voulez-vous?
Nane veut; moi je m'en vais lachement me coucher et ne tarde gu��re �� tomber dans ce sommeil profond des gens qu'on doit guillotiner le lendemain.
D'ailleurs, comme l'a dit M. de Bourdeille, ?ce qu'il peut y avoir de commun entre l'amour et le dormir, je n'y s?aurais entendre. Et me semblent deux bien trop excellentes choses pour les brouiller, et ne les pas faire chacune �� part et en son heure.?
II
Version seconde
?Socrates apud Xenophontem abstinendum esse in totum ab ista osculandi consuetudine censet: quia nihil, inquit ad amorem incendendum acrius est osculo.? (HEEREBORD, Exercit. Ethic. XLIX, p. 173.)
Socrate, ou plut?t X��nophon qui, soit niaiserie, soit malice, lui a pr��t�� aucunes fois ses propres opinions, conseille de fuir l'usage du baiser, �� cause de l'amour qui s'en engendre. Et le roi Archelaos, �� qui l'on rapporta cette bourde: ?Autant vaudrait, dit-il, ne boire plus, parce qu'il enivre.?
En cas que la premi��re version de mes d��buts aupr��s de Nane n'ait point satisfait tous les esprits, il convient d'en donner une seconde: ainsi les d��licats pourront choisir la forme de v��rit�� qui leur agr��era davantage.
Mais, s'il se rencontre quelque partie commune �� ces deux r��cits, il faudra prendre garde que les gestes relatifs �� l'amour sont peu nombreux, et que l'on n'en peut faire aucun sans qu'il ressemble �� d'autres qu'on a d��j�� faits.
J'avais invit�� �� prendre le th�� dans mon atelier ce jour-l�� Jacques d'Iscamps, �� qui un mariage prochain rendait aimables les plus petites f��tes, et Nane, avec qui il ne s'��tait encore pu r��soudre �� rompre; c'��tait m��me l�� pour moi un sujet de constante surprise;
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