Mon amie Nane | Page 5

Paul Jean Toulet
Nane marchait, et m��me divinement, ��tant elle-m��me chose divine.
La premi��re fois que je lui pr��tai une s��rieuse attention, Nane ��tait en l'air, et tombait d'un omnibus.
Sa Victoria suivait �� paisible allure le Batignolles-Clichy-Od��on, o�� elle avait eu ce jour-l�� l'heureuse fantaisie de ?prendre une imp��riale, afin de jouir du paysage?; et un peu avant le pont des Saints-P��res, en un des points que la Compagnie d'Orl��ans venait de choisir pour y ex��cuter de myst��rieux travaux, le cocher de Nane put, en m��me temps que moi, admirer un spectacle gracieux.
Le Batignolles-Clichy-Od��on, en tournant, d��rapa, oscilla un peu, et versa sur la gauche. Je vis quelque chose de clair, de blanc, de rose, qui d��crivait une ��l��gante parabole: c'��tait Nane. Ob��issant aux lois pr��sum��es de la gravitation, elle quitta brusquement son banc, en m��me temps que plusieurs autres personnes, et tomba.
Elle tomba assise, se fit tr��s mal, et fondit en larmes, silencieusement: tel un vieux monsieur, qui retrouve sa fille apr��s une absence de plusieurs ann��es. Je reconnus seulement alors, ne l'ayant pas rencontr��e depuis longtemps, Mlle Hanna?s Dunois, ma?tresse de mon ami Jacques d'Iscamps, ou peut-��tre sa veuve, car il devait se marier dans peu de jours. Jugeant d'ailleurs qu'il valait mieux qu'elle ne s'��ternisat pas dans cette position s��dentaire, je la pris par les mains pour la remettre debout. Elle ne semblait pas meurtrie, et, comme le temps ��tait beau, n'��tait salie que de poussi��re.
--Tiens, c'est vous, dit-elle, me reconnaissant �� son tour. Vous seriez bien gentil de me raccompagner jusqu'�� ma voiture; elle ne doit pas ��tre loin.
Quand elle y fut mont��e: ?Venez avec moi un peu plus loin, ajouta-t-elle, voulez-vous? J'ai peur de rester seule, �� me sentir comme ?a toute disloqu��e.? Je pris sa gauche, et comme nous passions par la rue Royale, elle accepta de s'arr��ter un moment pour boire n'importe quoi de r��confortant. Nous descend?mes donc, elle un peu patraque encore; mais une demi-heure plus tard nous ��tions devant notre vin de Porto �� plaisanter le plus ga?ment du monde sur sa chute, dont au reste il ne semblait lui rester rien qu'un peu de g��ne �� ��tre assise.
Si la conversation tendait �� languir (car on ne peut constamment �� deux, dont une femme, frapper des pens��es ing��nieuses), aussit?t elle se battait l��g��rement les c?t��s, ce qui faisait lever de la poussi��re. Et de rire tout de nouveau, �� petits ��clats: car elle est d'un esprit simple; et si elle s'est une fois r��solue �� juger une chose dr?le, elle pourrait se la repr��senter cent jours de suite et s'en r��jouir encore d'aussi bon coeur.
Cependant le temps avait coul��, il y avait pr��s d'une heure d��j�� que l'odeur r��pandue de l'absinthe nous pr��sageait le soir et que les Parisiens fussent pr��s de se nourrir:
--Si nous d?nerions ici? dis-je.
--Je ne vous cacherai pas, me r��pondit Nane, que j'aimerais bien me tenir un peu ��tendue. Mais si vous voulez venir d?ner �� la maison, je me mettrai sur une chaise longue--et nous dirons des choses.
Cela ayant ��t�� ainsi convenu, je courus chez moi m'habiller, et de l�� avenue de Villiers o�� demeure Nane.
C'��tait, au bout, bout de l'avenue, un h?tel de poup��e, mais assez simple d'aspect, comme aussi de train. La porte coch��re est condamn��e pour absence de concierge; et il y a juste assez de jardin pour qu'on garde en gravat �� ses semelles de quoi rayer le ciment mosa?que du vestibule. Une femme de chambre vint m'ouvrir. Avec la cuisini��re (l'��quipage ��tant d'un loueur) c'est toute la maison de Nane, qui a ralenti ses allures depuis la mort de B��lesbat. Quoique l'industriel, pratique dans sa bienfaisance m��me, lui ait fait legs d'une solide rente viag��re, celle-ci n'est point telle que Nane puisse encore, et malgr�� la bonne volont�� qu'a jusqu'ici mise Jacques �� finir de se ruiner pour elle, soutenir les f��tes d'autrefois, ni la parade un peu ostentatoire qu'elle menait rue de Scyth��ris, en ce voluptueux h?tel la Billaudi��re, aujourd'hui, h��las! occup�� par une aigre et d��vote tante de B��lesbat, sa seule h��riti��re. Mais, dans une demi-paresse, et sans trop chercher que les jeux de son corps lui procurent un lustre nouveau, Nane laisse les heures glisser sur elle sans la meurtrir, telles au printemps les gouttes d'une pluie ensoleill��e sur la fleur nouvelle.
Ce soir, elle s'est v��tue d'un peignoir assez ajust�� en cr��pe de Chine vert, mais du vert le plus faux, le plus aga?ant, le plus d��licieux. Elle a des dessous, semble-t-il, tout blancs; au moins ses bas le sont-ils, et la peau de ses pantoufles. Sa chevelure, qui a comme ses yeux la patine de ces bronzes que le baiser des p��lerins a jaunis, est retrouss��e par devant, �� la Messaline. Son col long et sa nuque portent un triple collier d'��maux verts, dont elle a aussi une ceinture.
Elle est ainsi
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