Mon amie Nane | Page 4

Paul Jean Toulet
et de l��, il peut nous tomber dessus, comme une chemin��e.
--Comme une chemin��e, comme une chemin��e...
Il finit par dire oui, ne pouvant mieux faire. Quelques instants apr��s, dans le jardin, parmi les bambous et les iris, on lui pr��senta un malade blond, charg�� de plaids, qui prenait le soleil sur une chaise longue, en toussotant. Il parlait avec fatigue, d'une voix gutturale; et laissait voir �� table cette fringale qui est particuli��re aux tuberculeux. Sa soif aussi ��tait maladive; apr��s le caf�� qu'il avait renforc�� de cognac, ses joues s'empourpr��rent d'une ardeur sinistre.
Du reste, point g��nant; et Jacques aurait cru avoir retrouv�� sa Nane des meilleurs jours, si la crainte vraiment exag��r��e d'un B��lesbat se laissant choir de la lune pour la surprendre n'avait paru constamment cro?tre chez elle.

Il ��tait une heure apr��s minuit. Jacques, dont la jeune femme qui s'assoupissait �� son c?t�� ne soutenait d��cid��ment plus la conversation, s'appr��tait �� jouir lui aussi d'un repos bien gagn��. Un instant, il caressa du bout de ses doigts la gorge de Nane, juste assez pour la faire protester au fond de son sommeil par un faible g��missement, recroquevilla ses jambes et s'endormit.
Alors, du c?t�� de la mer, un acre appel d��chira la nuit: c'��tait comme la plainte d'un jeune cyclope en dentition--ou le cri de guerre de l'oiseau appel�� rock quand il se pr��cipite sur une foule d'��l��phants. Nane se dressa:
--Tu entends?
--Eh bien, c'est une sir��ne.
--C'est la M��duse, j'en suis s?re, cria-t-elle; je la reconnais. B��lesbat va ��tre ici �� la minute. Va-t'en Jacques, je t'en prie, va-t'en.
Le jeune homme ne se laissa pas faire tout de suite: quelle imagination, maintenant, de reconna?tre les yachts �� la voix. Comme s'il n'y avait que la M��duse qui e?t une sir��ne. Et d'aller croire que B��lesbat arrivat �� cette heure-ci, sans s'annoncer, m��me, etc., etc.
--Tu veux donc me faire perdre ma situation, g��mit Nane; et Jacques, ?boucl��?, s'en fut.
Le surlendemain ce fut la m��me alerte, mais un peu plus t?t; deux jours apr��s pareillement, puis une autre fois encore, et enfin trois nuits de suite; on e?t dit que tous les bateaux de la M��diterran��e s'��taient donn�� le mot pour n'entrer au port d'Alger qu'�� la faveur de l'ombre, et Jacques, accabl�� sous la main de la Providence, abruti, docile, se levait sans plus de plaintes, se rhabillait, rentrait �� l'h?tel, sous la lune, par les lacets bord��s de cactus.
Mais un soir qu'il avait d?n�� en ville et rumin�� de mauvaise humeur toutes ces nuits gach��es, il se jura de ne pas monter �� la villa, pour cette nuit. Donc, ayant allum�� un cigare, il alla faire un tour, tout seul, vers Lagha, revint, descendit jusqu'au port.
La lune n'��tait pas encore lev��e et �� travers la nuit diaphane, couleur de saphir, Jacques pouvait apercevoir la mer palpitante.
Soudain, d'un petit caboteur qui ��tait �� quai, il entendit jaillir ce m��me rugissement qui depuis peu lui servait de diane avant l'heure. Sur le bateau, d'ailleurs, rien ne bougea, ni homme, ni cordage, et la machine semblait n'avoir de pression que ce qu'il en fallait pour faire hurler la m��g��re de fonte.
Quand ce fut fini, il y eut quelque bruit encore, comme d'un fourneau qu'on ��teint, et puis un vieil homme qui fumait la pipe vint s'accouder �� l'arri��re.
--Hol�� h��, demanda poliment Jacques, quel fils de chienne de boucan faites-vous l��, puisque votre raffiau est sur ses ancres?
Le vieux mit la main au-dessus de sa bouche, comme pour parler bas: ?T��, je vais vous dire, fit-il; l'autre jour il est venu un monsieur, espagnol, je pense, avec une jolie bagasse; qui m'ont donn�� de l'argent pour faire marcher ma sir��ne la nuit, tout le temps que je resterais �� Alger, quand ils me le feraient dire. M��me qu'ils riaient beaucoup.?
--Ah! pensa Jacques, ah! ils riaient! Lui, non.
--C'est curieux, dis-je �� Jacques,--car c'est lui-m��me qui m'avait cont�� cette histoire--je ne croyais pas que les petits caboteurs eussent de sir��ne.
--Celui-l�� en avait bien une, je vous assure, et qui n'��tait pas dans un ��tui; non, pas assez dans un ��tui, m��me.
--Mais comment avez-vous eu le courage de reprendre Nane? Je sais bien que moi...
--On reprend toujours une femme, lorsque elle vous a pris: vous ��tes bon, vous, avec votre courage! Pensez-vous que ce soit la seule sottise que j'aie faite pour Nane?
--Au moins pourraient-elles ��tre moins affirm��es. Mais vous, vous faites vos bassesses le front haut.
--Bassesses, bassesses: vous n'en avez aucune �� vous reprocher, vous?
--Ni ne compte en avoir aucune.
--J'aime mieux ne pas me singulariser, conclut un peu s��chement Jacques, que mes remarques sembl��rent avoir agac��.
Mais quand on est entre amis, n'est-ce pas pour se dire des v��rit��s d��sagr��ables?

II
Comment on s'aime
I
Premi��re version
?...inde proverbium ductum, deos laneos pedes habere.? (MACROB. Saturn.)
?...incessu patuit dea.? (VIRG. Eneid.)
Au contraire de ces dieux que les Romains accusaient d'avoir les pieds en dentelle,
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