Mon amie Nane | Page 3

Paul Jean Toulet
principal souci, comme il le montra en partant brusquement un jour, sur son yacht la M��duse, visiter la Terre de Feu, dont il caressait le projet d'y am��nager des colonies agricoles, les asiles de nuit lui en devant fournir les premiers colons. Ainsi Nane se trouva libre, quoique pour combien de temps elle ne savait avec exactitude.
Elle s'��tait montr��e d'abord un peu chagrine qu'on ne l'emmenat point; car elle s'imaginait la Terre de Feu comme un pays tr��s chaud, avec des lianes, des ananas au jus naturel, des papillons larges comme des paravents; et sans doute aussi quelque casino o�� l'on pourrait d��ployer des toilettes excentriques, devant des gens de couleurs diverses, en smoking: quelque chose comme les n��gres du quartier latin.
Il fallut lui expliquer que ce district de l'Am��rique, fertile surtout en gla?ons, si des ��paves de grande ville le pouvaient prendre de loin pour une Arcadie, n'��tait pas une vill��giature favorable aux jeux de nos courtisanes. Elle se consola donc assez vite de rester seule ma?tresse en son petit h?tel de la rue de Scytheris, et que B��lesbat n'y v?nt plus gesticuler parmi ses tables fragiles ou blamer de son acre voix les lenteurs du service.
En v��rit��, ce qu'elle aimait le plus de lui, ce n'��tait pas sa pr��sence.
Il n'entrait point dans les intentions de Nane de se montrer, en son veuvage, plus fid��le �� B��lesbat qu'elle ne faisait d'ordinaire. Elle continua donc �� le tromper, quoique avec moins de plaisir depuis qu'il ��tait loin; et ce fut surtout avec Jacques d'Iscamps.
D'��ducation d��cente et d'ext��rieur agr��able, Jacques jouait depuis pr��s d'un an aupr��s d'elle, avec autant d'��l��gance qu'il se peut, le r?le d'amant de coeur. C'est �� lui que ressortissait le d��partement des fleurs, drag��es, baignoires. Il ��tait charg�� aussi de remplacer, aussit?t mortes de langueur, les petites tortues capara?onn��es d'argent et de turquoises dont les dames s'ornaient alors; et de jouer �� Auteuil les bons tuyaux, les increvables; comme encore de commander en des restaurants d��rob��s des d?ners que presque toujours un petit bleu tard venu le laissait dans l'alternative de planter l��, ou de d��vorer tout seul, ridicule.
Aujourd'hui, que B��lesbat se balan?ait sur les hautes vagues de la mer, le jeu r��gulier des lois sur l'avancement le haussait �� une situation presque officielle. D��jeunant chaque matin chez Nane, il eut la joie de s'y entendre couramment appeler ?Monsieur?, comme aussi de prendre une part plus active �� l'administration int��rieure, d'��tre initi�� aux d��tails les plus ��mouvants de la lingerie ou du chauffage. Une fois m��me il eut mandat de discuter avec le boucher certain compte qui n'��tait pas clair, et qu'il finit du reste par payer int��gralement, apr��s avoir joui pour ses ��pingles, en un bigorne de loucherbem assez diaphane, de quelques insinuations malveillantes.
Mais, assez vite, tout cela cessa de l'amuser; et il se prenait parfois �� regretter la vie de nagu��re, les rendez-vous souvent manqu��s, mais o�� il y avait une pointe d'impr��vu. Et il commen?ait de r��ver �� la Terre de Feu, lui aussi, quand Nane d��tourna le cours de sa m��lancolie en annon?ant qu'elle partait pour Alger: Jacques fut du projet, tout de suite.
Mais il ne put faire le voyage en m��me temps que son amie, pour quelque raison de famille:
--Ne t'inqui��te pas, lui dit-elle. Il y a l'ancien amant de ma soeur, tu sais....
--Je ne sais pas du tout.
--Enfin, il a envie de venir avec moi. Il est tr��s malade, phtisique au dernier point, et c'est une charit�� de le prendre; il a ��t�� si bon pour ma pauvre soeur, avant qu'elle ne f?t mari��e. En tout cas j'aime autant qu'il vienne, �� cause des Hauts Fourneaux. Ce n'est pas toi, hein? qui pourrait servir de chaperon.
Jacques, flatt��, eut un sourire:
--Enfin, qui est-ce, ton phtisique?
--C'est un ponte tr��s chic: le vicomte d'Elche. Je crois qu'il est �� moiti�� Espagnol, ou Autrichien.
--Comme tout le monde.

Quelques jours apr��s, joyeux d'avoir fui les brumes de d��cembre parisien, Jacques d��barqua sur les quais d'Alger par un temps de paradis. Au-dessus de lui il pouvait voir le boulevard de la R��publique ��clater de lumi��re, sous l'azur tendre; et plus bas, �� droite, les p��cheries grouillantes, ou bien la Marine dont les eaux clapotaient dans une ombre verte et noire.
Ayant envoy��, provisoirement, pensait-il, son bagage �� l'h?tel, il prit une voiture d��couverte et se fit conduire �� Mustapha-Sup��rieur, villa Beau-Regard, o�� demeurait Nane.
Elle sourit tendrement �� le revoir, et, une fois de plus, le jeune homme ressentit l'attrait de ses l��vres lentes et de ses indolentes mains. Mais d��s qu'il voulut parler de s'installer �� la villa:
--?a n'est gu��re possible, objecta Nane. D'abord, il y a d'Elche, d��j��.
--D'Elche? Et qu'est-ce qu'il fait ici, celui-l��?
--Tu le verras; il est si malade. Et puis, autre chose: j'ai eu des nouvelles de B��lesbat. Il revient en France d'un moment �� l'autre;
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