Mistress Branican | Page 5

Jules Verne
je ne cesserai de penser à lui!»
Harry Felton vint de nouveau interrompre cette conversation:
«Capitaine, dit-il, il serait temps...
-- Bien, Harry, répondit John Branican. Faites hisser le grand foc et la
brigantine.»
Le second s'éloigna afin de procéder à l'exécution de ces ordres, qui
annonçaient un départ immédiat.
«Monsieur Andrew, dit le jeune capitaine en s'adressant à l'armateur, le
canot va vous reconduire au quai avec ma femme et ses parents...
Quand vous voudrez...
-- À l'instant, John, répondit M. William Andrew, et encore une fois,
bon voyage!
-- Oui!... bon voyage!... répétèrent les autres visiteurs, qui
commencèrent à descendre dans les embarcations, accostées à tribord
du Franklin.
-- Adieu, Len!... Adieu, Jane! dit John en leur serrant la main à tous les
deux.
-- Adieu!... Adieu!... répondit Mrs. Burker.
-- Et toi, ma Dolly, pars!... Il le faut!... ajouta John. Le Franklin va
prendre le vent.»

Et, en effet, la brigantine et le foc imprimaient un peu de roulis au
navire, tandis que les matelots chantaient:
_En voilà une, La jolie une! Une s'en va, ça ira, Deux revient, ça va
bien!
En voici deux, La jolie deux! Deux s'en va, ça ira, Trois revient, ça va
bien..._
Et ainsi de suite.
Pendant ce temps, le capitaine John avait conduit sa femme à la coupée,
et, au moment où elle allait mettre le pied sur l'échelle, se sentant aussi
incapable de lui parler qu'elle était elle-même de lui répondre, il ne put
que la presser étroitement dans ses bras.
Et, alors, le bébé, que Dolly venait de reprendre à sa nourrice, tendit ses
bras vers son père, agita ses petites mains en souriant, et ce mot
s'échappa de ses lèvres:
«Pa... pa!... Pa... pa!...
-- Mon John, s'écria Dolly, tu auras donc entendu son premier mot
avant de te séparer de lui!»
Si énergique que fût le jeune capitaine, il ne put retenir une larme que
ses yeux laissèrent couler sur la joue du petit Wat.
«Dolly!... murmura-t-il, adieu!... adieu!...»
Puis:
«Dérapez!» cria-t-il d'une voix forte pour mettre fin à cette pénible
scène.
Un instant après, le canot débordait et se dirigeait vers le quai, où ses
passagers débarquèrent aussitôt. Le capitaine John était tout entier aux
mouvements de l'appareillage. L'ancre commençait à remonter vers
l'écubier. Le Franklin, dégagé de sa dernière entrave, recevait déjà la

brise dans ses voiles dont les plis battaient violemment. Le grand foc
venait d'arriver à bloc, et la brigantine fit légèrement lofer le navire, dès
qu'elle eut été bordée sur son gui. Cette manoeuvre devait permettre au
Franklin de prendre un peu de tour, afin d'éviter quelques bâtiments
mouillés à l'entrée de la baie.
À un nouveau commandement du capitaine Branican, la grande voile et
la misaine furent hissées avec un ensemble qui faisait honneur aux bras
de l'équipage. Puis, le Franklin, arrivant d'un quart sur bâbord, prit
l'allure du largue, de manière à sortir sans changer ses armures.
De la partie du quai occupée par de nombreux spectateurs, on pouvait
admirer ces différentes manoeuvres. Rien de plus gracieux que ce
bâtiment de forme si élégante, lorsque le vent l'inclinait sous ses volées
capricieuses. Pendant son évolution, il dut se rapprocher de l'extrémité
du quai, où se trouvaient M. William Andrew, Dolly, Len et Jane
Burker, à moins d'une demi-encablure.
Il en résulta donc, qu'en laissant arriver, le jeune capitaine put encore
apercevoir sa femme, ses parents, ses amis, et leur jeter un dernier
adieu.
Tous répondirent à sa voix, qui s'entendit clairement, à sa main qui se
tendait vers ses amis.
«Adieu!... Adieu! fit-il.
-- Hurra!» cria la foule des spectateurs, tandis que les mouchoirs
s'agitaient par centaines.
C'est qu'il était aimé de tous, le capitaine John Branican! N'était-ce pas
celui de ses enfants dont la ville était le plus fière? Oui! tous seraient là,
à son retour, lorsqu'il apparaîtrait au large de la baie.
Le Franklin, qui se trouvait déjà en face du goulet, dut lofer afin
d'éviter un long courrier, qui donnait en ce moment dans les passes. Les
deux navires se saluèrent de leurs pavillons aux couleurs des États-Unis
d'Amérique.

Sur le quai, Mrs. Branican, immobile, regardait le Franklin s'effacer
peu à peu sous une fraîche brise de nord-est. Elle voulait le suivre du
regard, tant que sa mâture serait visible au- dessus de la pointe Island.
Mais le Franklin ne tarda pas à contourner les îles Coronado, situées en
dehors de la baie. Un instant, il montra à travers une échancrure de la
falaise le guidon qui flottait en tête du grand mât... Puis il disparut.
«Adieu, mon John... adieu!...» murmura Dolly.
Pourquoi un inexplicable pressentiment l'empêcha-t-il d'ajouter: «Au
revoir!»

II
Situation de famille
Il convient de marquer d'un trait plus précis Mrs. Branican, que les
éventualités de cette histoire sont appelées à mettre en pleine lumière.
À
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