Mistress Branican | Page 4

Jules Verne
itinéraire puisse
être modifié par les vents que je trouverai dans l'ouest du Pacifique. Si
pourtant vous aviez à me télégraphier quelque ordre important, veuillez
l'envoyer, soit à Mindanao, où je relâcherai peut-être, soit à Singapore,
où je relâcherai certainement.
-- C'est entendu, John. De votre côté, avisez-moi le plus tôt possible du
cours des marchandises à Calcutta. Il est possible que ces cours
m'obligent à changer mes intentions touchant le chargement du
Franklin au retour.
-- Je n'y manquerai pas, monsieur Andrew», répondit John Branican.
En ce moment, Harry Felton s'approchant dit:
«Nous sommes à pic, capitaine.
-- Et le jusant?...
-- Il commence à se faire sentir...
-- Tenez bon.»

Puis, s'adressant à William Andrew, le capitaine John, plein de
reconnaissance, répéta:
«Encore une fois, monsieur Andrew, je vous remercie de m'avoir donné
le commandement du Franklin. J'espère que je saurai justifier votre
confiance...
-- Je n'en doute aucunement, John, répondit William Andrew, et je ne
pouvais remettre en de meilleures mains les affaires de ma maison!»
L'armateur serra fortement la main du jeune capitaine et se dirigea vers
l'arrière du rouffle.
Mrs. Branican, suivie de la nourrice et du bébé, venait de rejoindre son
mari avec M. et Mrs. Burker. L'instant de la séparation était imminent.
Le capitaine John Branican n'avait plus qu'à recevoir les adieux de sa
femme et de sa famille.
On le sait, Dolly n'en était encore qu'à la deuxième année de son
mariage, et son petit enfant avait à peine neuf mois. Bien que cette
séparation lui causât un profond chagrin, elle n'en voulait rien laisser
voir, et contenait les battements de son coeur. Sa cousine Jane, nature
faible, sans énergie, ne pouvait, elle, cacher son émotion. Elle aimait
beaucoup Dolly, près de qui elle avait souvent trouvé quelque
adoucissement au chagrin que lui causait le caractère impérieux et
violent de son mari. Mais, si Dolly dissimulait ses inquiétudes, Jane
n'ignorait pas qu'elle les éprouvait dans toute leur réalité. Sans doute, le
capitaine John devait être de retour à six mois de là; mais, enfin, c'était
une séparation -- la première depuis leur mariage -- et, si elle était assez
forte pour retenir ses larmes, on peut dire que Jane pleurait pour elle.
Quant à Len Burker, lui, cet homme dont jamais une émotion tendre
n'avait adouci le regard, les yeux secs, les mains dans les poches,
distrait de cette scène par on ne sait quelles pensées, il allait et venait.
Évidemment, il n'était point en communauté d'idées avec les visiteurs
que des sentiments d'affection avaient amenés sur ce navire en
partance.
Le capitaine John prit les deux mains de sa femme, l'attira près de lui et

d'une voix attendrie:
«Chère Dolly, dit-il, je vais partir... Mon absence ne sera pas longue...
Dans quelques mois, tu me reverras... Je te retrouverai, ma Dolly... Sois
sans crainte!... Sur mon navire, avec mon équipage, qu'aurions-nous à
redouter des dangers de la mer?... Sois forte comme doit l'être la femme
d'un marin... Quand je reviendrai, notre petit Wat aura quinze mois...
Ce sera déjà un grand garçon... Il parlera, et le premier mot que
j'entendrai à mon retour...
-- Ce sera ton nom, John!... répondit Dolly. Ton nom sera le premier
mot que je lui apprendrai!... Nous causerons de toi tous les deux et
toujours!... Mon John, écris-moi à chaque occasion!... Avec quelle
impatience j'attendrai tes lettres!...
-- Et dis-moi tout ce que tu auras fait, tout ce que tu comptes faire...
Que je sente mon souvenir mêlé à toutes tes pensées...
-- Oui, chère Dolly, je t'écrirai... Je te tiendrai au courant du voyage...
Mes lettres, ce sera comme le journal du bord avec mes tendresses en
plus!
-- Ah! John, je suis jalouse de cette mer qui t'emporte si loin!...
Combien j'envie ceux qui s'aiment et que rien ne sépare dans la vie!...
Mais non... J'ai tort de songer à cela...
-- Chère femme, je t'en prie, dis-toi que c'est pour notre enfant que je
pars... pour toi aussi... pour vous assurer à tous les deux l'aisance et le
bonheur!... Si nos espérances de fortune viennent à se réaliser un jour,
nous ne nous quitterons plus!»
En ce moment, Len Burker et Jane s'approchèrent. Le capitaine John se
retourna vers eux:
«Mon cher Len, dit-il, je vous laisse ma femme, je vous laisse mon
fils!... Je vous les confie comme aux seuls parents qui leur restent à
San-Diégo!

-- Comptez sur nous, John, répondit Len Burker, en essayant d'adoucir
la rudesse de sa voix. Jane et moi, nous sommes là... Les soins ne
manqueront pas à Dolly...
-- Ni les consolations, ajouta Mrs. Burker. Tu sais combien je t'aime,
ma chère Dolly!... Je te verrai souvent... Chaque jour, je viendrai passer
quelques heures près de toi... Nous parlerons de John...
-- Oui, Jane, répondit Mrs. Branican, et
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