avant
notre départ de Wells, il y a deux nuits, j'ai saisi l'occasion de dire
quelques mots à ce sujet à Maître Derrick et de l'avertir de ne
comploter aucune trahison contre elle, s'il tenait à sa vie.
--Et comment a-t-il accueilli cette bienveillante sommation?
--Comme un rat accueille un piège à rat. Il a grogné quelques mots de
haine dévote et s'est esquivé.
--Sur ma vie, mon garçon, dis-je, vous avez eu autant d'aventures de
votre côté que moi du mien. Mais nous voici au sommet de la hauteur,
avec une perspective aussi étendue qu'on peut le souhaiter.
Juste au-dessous de nous courrait l'Avon, traversant en longues courbes
un pays boisé et renvoyant les rayons du soleil tantôt sur un point,
tantôt sur un autre.
On eût dit une rangée de soleils minuscules sur une corde d'argent.
De l'autre côté, le pays paisible, aux teintes variées, montait et
descendait en ondulations, qui présentaient à la vue champs de blés et
vergers, et s'étendait au loin pour finir en une lisière de forêts, sur les
collines lointaines de Malvern.
À notre droite étaient les hauteurs verdoyantes des environs de Bath, à
notre gauche les crêtes déchiquetées des Mendips, Bristol, la reine du
pays, tapie derrière ses fortifications, et plus en arrière, les eaux grises
du Canal, avec des voiles blanches comme la neige.
À nos pieds se trouvaient le pont de Keynsham, notre armée formant
des taches sombres sur le vert des champs, la fumée des bivouacs et les
voix des conversations flottant encore dans l'air de l'été.
Une route longeait les bords de l'Avon du côté du Comté de Somerset.
Sur cette route s'avançaient deux escadrons de cavalerie, qui se
proposaient d'établir des postes avancés sur notre flanc d'est.
Comme ils défilaient à grand bruit, sans grand ordre, ils avaient à
traverser un bois de pins, dans lequel la route fait un brusque détour.
Nous étions en train de contempler la scène, quand tout à coup, pareil à
l'éclair qui jaillit du nuage, un escadron des Horseguards fit demi-tour
pour se lancer sur le terrain découvert, et passant rapidement à l'allure
du trot, puis du galop, fondit comme un tourbillon d'habits bleus et
d'acier sur nos escadrons surpris.
Des rangs de tête partit le bruit des carabines qu'on épaule, mais en un
instant, les Gardes passèrent à travers eux et fondirent sur le second
escadron.
Pendant quelque temps les braves paysans tinrent ferme.
La masse compacte d'hommes et de chevaux oscillait, avançant,
reculant, les lames de sabre tournoyant au dessus d'elle en éclairs d'une
lumière rageuse.
Puis, des habits bleus se montrèrent çà et là parmi les habits de bure.
La lutte reporta ses mouvements furieux sur une centaine de pas en
arrière.
La masse épaisse fut fendue en deux et les Gardes du Roi s'élancèrent
comme un flot dans la brèche, s'épandant à droite et à gauche, forçant
les haies, franchissant les fossés, sabrant de la pointe et du tranchant les
cavaliers qui fuyaient.
Toute la scène, ces chevaux qui frappaient du pied, ces crinières agitées,
ces cris de triomphe ou de désespoir, ces halètements pénibles, cette
sonorité musicale de l'acier qui heurte l'acier, ce fut pour nous, qui
étions sur la hauteur, comme une vision désordonnée, tant elle fut
prompte à paraître et à disparaître.
Un coup de clairon sec, impérieux, ramena les Bleus sur la route, où ils
se reformèrent et partirent au petit trop avant que de nouveaux
escadrons eussent le temps de venir du camp.
Le soleil continuait à briller, la rivière à se rider.
Il ne restait plus rien qu'un long amas d'hommes et de chevaux pour
marquer le passage de la tempête infernale qui avait éclaté sur nous si
brusquement.
Pendant que les Bleus s'éloignaient, nous remarquâmes un officier isolé
qui formait l'arrière-garde.
Il chevauchait très lentement, comme s'il trouvait fort mauvais de
tourner le dos même à une armée entière.
L'intervalle entre l'escadron et lui ne cessait de s'accroître, mais il ne
faisait rien pour hâter le pas.
Il allait tranquillement son train, jetant de temps à autre un regard en
arrière pour voir s'il était suivi.
La même idée surgit simultanément dans l'esprit de mon camarade et
dans le mien, et nous la devinâmes en échangeant un coup d'oeil.
--Prenons ce sentier, cria-t-il avec vivacité. Il nous mènera au delà du
bouquet d'arbres et il est encaissé dans toute sa longueur.
--Conduisons les chevaux à la main, jusqu'à ce que nous soyons sur un
meilleur terrain, répondis-je. Nous lui couperons la retraite, si nous
avons de la chance.
Sans prendre le temps d'en dire davantage, nous nous hâtâmes de
descendre par le sentier inégal, où nous glissions et faisions des
rainures dans le gazon détrempé par la pluie.
Puis nous remettant en selle, nous parcourûmes le défilé, traversâmes le
bouquet d'arbre, et nous
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