Micah Clarke - Tome II | Page 6

Arthur Conan Doyle
aucune cité
n'attachait plus de prix aux libertés et à la croyance qui étaient
menacées.
Une forte troupe de bourgeois était déjà partie pour rejoindre l'armée
rebelle, mais beaucoup étaient restés à la ville pour la défendre.
Ceux-ci furent renforcés par des bandes de paysans, comme celle à
laquelle nous nous étions nous-mêmes attachés.
Elles étaient accourues en masse des environs, et maintenant elles
partageaient leur temps entre les discours de leurs prédicateurs favoris,
et l'exercice qui consistait à s'aligner et à manier leurs armes.
Dans les cours, les rues, les places du marché, on apprenait la marche,
la manoeuvre, le soir, le matin, à midi.
Lorsque nous sortîmes à cheval après le déjeuner, toute la ville
retentissait des cris de commandement et du fracas des armes.
Nos amis d'hier se rendaient sur la place du marché au moment où nous

y arrivâmes, et ils nous eurent à peine vus qu'ils ôtèrent leurs chapeaux
et nous accueillirent par des acclamations nourries, et ils ne
consentirent à se taire que quand nous les eûmes rejoints au petit trot
pour prendre notre place à leur tête.
--Ils ont juré qu'aucun autre ne serait leur chef, dit le ministre, debout
près de l'étrier de Saxon.
--Je ne pouvais pas souhaiter de plus solides gaillards à conduire, dit-il.
--Qu'ils se déploient en double ligne, en avant de l'hôtel de ville!
Comme cela! c'est cela!
--Rangez-vous bien, la ligne d'arrière! dit-il en se plaçant à cheval
vis-à-vis d'eux. Maintenant mettez-vous pour prendre position, le flanc
gauche immobile, pour servir de pivot à l'autre! C'est cela: voilà une
ligne aussi rigide, aussi droite qu'une épée sortant des mains d'Andrea
Ferrare... Je t'en prie, l'ami, ne tiens pas ta pique comme si c'était une
houe, quoique j'espère que tu feras de bonne besogne avec elle pour
émonder la vigne du Seigneur... Et vous, monsieur, il faut porter votre
mousqueton sur l'épaule au lieu de le tenir sous le bras comme un
dandy tient sa canne. Jamais malheureux soldat se vit-il obligé de
mettre en ordre une équipe aussi panachée! Mon bon ami le Flamand
lui-même ne servirait pas à grand-chose, ici, non plus que Petrinus qui,
dans son traité De re militari, ne donne nulles indications sur la façon
de faire faire l'exercice à un homme dont l'arme est une faucille ou une
faux.
--Épaulez faux! Portez faux! Présentez faux! dit tout bas Ruben à
l'oreille de Sir Gervas.
Et tous deux éclatèrent de rire sans se préoccuper des froncements de
sourcils de Saxon voûté.
--Partageons-les, dit-il, en trois compagnies de quatre-vingts hommes.
--Non, un instant... Combien avez-vous d'hommes armés de mousquets?
Cinquante-cinq. Qu'ils sortent des rangs! Ils formeront la première

ligne ou compagnie. Sir Gervas Jérôme, vous avez sans doute
commandé la milice de votre comté, et vous savez quelque chose sur
l'exercice à feu. Si je suis le chef de cette troupe, je vous nomme
capitaine de cette compagnie. Elle formera la première dans la bataille,
et c'est une position qui ne vous déplaira pas, je le sais.
--Pardieu, il faudra qu'ils se poudrent la tête, dit Sir Gervas d'un ton
décidé.
--Vous aurez à pourvoir à tout leur arrangement, répondit Saxon. Que
la première compagnie s'avance de six pas sur le pont! C'est cela!...
Maintenant que les hommes armés de piques se présentent!
Quatre-vingt sept! une compagnie bonne pour le service. Lockarby,
chargez-vous de ces hommes, et n'oubliez pas ceci: les guerres
d'Allemagne l'ont démontré. La meilleure cavalerie est aussi
impuissante contre des piquiers bien fermes que les vagues contre un
rocher. Vous serez le capitaine de la seconde compagnie. Allez vous
placer à sa tête.
--Par ma foi, s'ils ne savent pas mieux se battre que leur capitaine ne
sait se tenir à cheval, dit à demi-voix Ruben, ce sera une fâcheuse
affaire. J'espère qu'ils seront plus solides sur le champ de bataille que je
ne le suis en selle.
--Quant à la troisième compagnie des hommes armés de faux, je la
confie à vos soins, capitaine Micah Clarke, reprit Saxon. Le bon Maître
Josué Pettigrue sera notre aumônier militaire. Sa voix et sa présence ne
seront-elles pas pour nous comme la manne dans le désert, comme des
sources d'eau dans les lieux arides. Quant aux sous-officiers, je vois
que vous les avez déjà choisis. Vos capitaines auront le droit d'ajouter à
ce nombre, ceux qui frappent avec sang-froid et ne font pas de quartier.
Maintenant j'ai encore une chose à vous dire. Je parle de façon à ce que
tout le monde m'entende, et que dans la suite personne ne se plaigne de
ce qu'on ne lui a pas fait connaître clairement les règles de son service.
Ainsi donc, je vous avertis que quand le clairon sonnera l'appel du soir,
qu'on aura déposé le casque et la pique, je suis comme vous, et vous
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