la place du marché, où
des groupes de jeunes apprentis entassaient des fagots, pour un feu de
joie, tandis que d'autres mettaient en perce deux où trois grands
tonneaux d'ale.
Ce qui donnait lieu à cette subite explosion de joie, c'était la nouvelle
toute fraîche que la milice d'Albemarle avait déserté en partie, et que le
reste avait été battu, ce matin là, à Axminster.
Lorsqu'on apprit le succès de notre propre engagement, la joie
populaire devient plus tumultueuse que jamais.
On se précipita au milieu de nous, on nous combla de bénédictions, en
cet étrange dialecte de l'ouest, à la prononciation épaisse.
On embrassait nos chevaux autant que nous.
Des préparatifs furent bientôt faits pour accueillir nos compagnons
fatigués.
Un long édifice vide, qui servait de magasin pour les laines, fut garni
d'une épaisse couche de paille et mis à leur disposition.
On y plaça un grand baquet rempli d'ale, et une abondante provision de
viandes froides et de pain de froment.
De notre côté, nous descendîmes par la rue de l'Est, à travers les cris et
les poignées de main de la foule, pour nous rendre à l'hôtellerie du
Blanc-Cerf, où, après un repas hâtif, nous fûmes fort heureux de nous
mettre au lit.
Mais à une heure avancée de la nuit, notre sommeil fut interrompu par
les réjouissances de la foule qui, après avoir brûlé en effigie Lord
Sunderland et Grégoire Alford, Maire de Lyme, s'attarda à chanter des
chansons du pays de l'Ouest et des hymnes puritains jusqu'aux
premières heures du matin.
II--Le rassemblement sur la place du Marché.
La belle ville où nous nous trouvions alors, était le véritable centre de
la rébellion, bien que Monmouth n'y fût pas encore arrivé. C'était une
localité florissante, faisant un grand commerce de laine et de draps à
côtes, qui donnait du travail à près de sept mille habitants.
Ainsi elle occupait un rang élevé parmi les cités anglaises, et n'avait
au-dessus d'elle que Bristol, Norwich, Bath, Exeter, York, Worcester,
entre les villes de province.
Taunton avait été longtemps fameux non seulement par ses ressources
et par l'initiative de ses habitants, mais encore par la beauté et la bonne
culture du pays qui s'étendait autour d'elle et produisait une vaillante
race de fermiers.
Depuis un temps immémorial, la ville avait été un centre de ralliement
pour le parti de la liberté, et pendant bien des années elle avait penché
pour la République en politique et pour le puritanisme en matière de
religion.
Aucune localité du Royaume n'avait combattu avec plus de bravoure
pour le Parlement, et bien qu'elle eût été deux fois assiégée par Goring,
les bourgeois, sous les ordres du courageux Robert Blake, avait lutté si
désespérément que chaque fois les Royalistes avaient été obligés de se
retirer déconfits.
Pendant le second siège, la garnison avait été réduite à se nourrir de la
chair des chiens et des chevaux, mais pas un mot relatif à une reddition
n'était sorti de sa bouche, non plus que de celle de l'héroïque
commandant.
C'était ce même Blake sous lequel le vieux marin Salomon Sprent avait
combattu contre les Hollandais.
Après la Restauration, le Conseil Privé, pour faire voir qu'il se
souvenait du rôle joué par la glorieuse ville du comté de Somerset,
avait ordonné, par une mesure toute spéciale, la démolition des
remparts qui entouraient la cité vierge.
Aussi, au temps dont je parle, il ne restait de l'enceinte de murs épais, si
bravement défendue par la dernière génération de citadins, que
quelques misérables amas de débris.
Toutefois il restait encore bien des souvenirs de ces temps orageux.
Les maisons du pourtour portaient encore les cicatrices et les lézardes
produites par les bombes et les grenades des cavaliers.
D'ailleurs, la ville entière avait une farouche et martiale apparence.
On eût dit un vétéran parmi les cités qui avaient combattu au temps
jadis.
Elle ne redoutait point de voir encore une fois l'éclair des canons et
d'entendre le sifflement aigu des projectiles.
Le Conseil de Charles pouvait détruire les remparts que ses soldats
avaient été incapables de prendre, mais nul édit royal n'avait le pouvoir
d'en finir avec le caractère résolu et les opinions avancées des
bourgeois.
Bon nombre d'entre eux, nés et grandis dans le fracas de la guerre civile,
avaient subi dès leur enfance l'action incendiaire des récits de la guerre
de jadis, et des souvenirs du grand assaut où les mangeurs d'enfants de
Lumley furent précipités en bas de la brèche par les bras vigoureux de
leurs pères.
Ainsi furent entretenues dans Taunton des dispositions plus énergiques,
un caractère plus guerrier qu'en toute autre ville provinciale
d'Angleterre.
Cette flamme fut attisée par l'action infatigable d'une troupe d'élite de
prédicants non conformistes, parmi lesquels le plus en vue était Joseph
Alleine.
On n'eût pu mieux choisir comme foyer d'une révolte, car
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