Micah Clarke - Tome II | Page 4

Arthur Conan Doyle

--Il faut l'espérer, dit dévotement Saxon. Mais avez-vous encore
quelque chose à nous apprendre au sujet de la révolte, digne monsieur?
--Très peu, si ce n'est que les paysans sont accourus en si grand nombre
qu'il a fallu en renvoyer beaucoup, faute d'armes. Tous ceux qui paient
la dîme dans le comté de Somerset vont à la recherche de cognes et de

faux. Il n'y a pas un forgeron qui ne soit occupé dans sa forge du matin
au soir, à faire des fers de pique. Il y a six mille hommes comme cela
dans le camp, mais ils n'ont pas même un mousquet pour cinq. À ce
qu'on m'a dit, ils se sont mis en marche sur Axminster, où ils auront
affaire au Duc d'Albemarle qui est parti d'Exeter avec quatre mille
hommes des milices de Londres.
--Alors, quoique nous fassions, nous arriverons trop tard, m'écriai-je.
--Vous aurez assez de bataille avant que Monmouth échange son
chapeau de cheval contre une couronne et sa roquelaure à dentelles
contre la pourpre, dit Saxon. Si notre digne ami que voici est
exactement renseigné, et qu'un engagement de cette sorte ait lieu, ce ne
sera que le prologue de la pièce. Lorsque Churchill et Feversham
arriveront avec les propres troupes du Roi, ce sera alors que Monmouth
fera le grand saut, qui le portera sur le trône ou sur l'échafaud.
Pendant qu'avait lieu cette conversation, nous avions mis nos chevaux
au pas pour descendre le sentier tortueux qui longe la pente Est de
Taunton Deane.
Depuis quelque temps, nous avions pu voir dans la vallée au-dessous de
nous les lumières de la ville de Taunton, et la longue bande d'argent de
la rivière la Tone.
La lune, brillant de tout son éclat dans un ciel sans nuages, répandait un
doux et paisible rayonnement sur la plus belle et la plus riche des
vallées anglaises.
De magnifiques résidences seigneuriales, des tours crénelées, des
groupes de cottages bien abrités sous leurs toits de chaume, les vastes
et silencieuses étendues des champs de blé, de sombres bosquets, à
travers lesquels brillaient les fenêtres éclairées des maisons qui
peuplaient leurs profondeurs, tout cela se développait autour de nous,
ainsi que les paysages indéfinis, muets, qui se déploient devant nous en
nos rêves.
Il y avait dans ce tableau tant de calme, tant de beauté, que nous

arrêtâmes nos chevaux à un coude que faisait le sentier, que les paysans
las, les pieds meurtris, firent halte, que les blessés eux-mêmes se
soulevèrent dans la charrette, pour réjouir leurs yeux par un regard jeté
sur cette terre promise.
Tout à coup, du silence, monta une voix forte, fervente, qui s'adressait à
la Source de Vie pour lui demander de garder et préserver ce qu'elle
avait créé.
C'était Maître Josué Pettigrue, qui, à genoux, implorait à la fois des
lumières pour l'avenir, et exprimait sa reconnaissance de ce que son
troupeau était sorti sain et sauf des dangers rencontrés sur son chemin.
Je voudrais, mes enfants, posséder un de ces cristaux magiques dont
vous parlent les livres, afin de pouvoir vous y montrer cette scène: les
noires silhouettes des cavaliers, l'attitude grave, sérieuse des paysans,
les uns agenouillés pour prier, les autres s'appuyant sur leurs armes
grossières, l'expression à la fois soumise et narquoise des dragons
prisonniers, la rangée de figures pâles, contractées par la souffrance,
qui regardaient par-dessus le bord de la charrette, le choeur de
gémissements, de cris, de phrases entrecoupées qui interrompait parfois
la parole ferme et égale du pasteur.
Si seulement j'étais capable de peindre une pareille scène avec le
pinceau d'un Verrio ou d'un Laguerre, je n'aurais pas besoin de la
décrire en ce langage décousu et faible.
Maître Pettigrue avait terminé son discours d'actions de grâce, et allait
se relever quand le tintement musical d'une cloche nous arriva de la
ville endormie à nos pieds.
Pendant une ou deux minutes, ce son s'éleva tour à tour fort et faible, en
sa douce et claire vibration.
Il fut suivi d'un second coup d'un son plus grave, plus âpre, et d'un
troisième, et l'air finit par s'emplir d'un joyeux carillon.
En même temps, on entendit une rumeur de cris, d'applaudissements,

qui s'enfla, s'étendit et devint un grondement puissant.
Des lumières étincelèrent aux fenêtres.
Des tambours battirent.
Toute la ville fut en mouvement.
Ces manifestations soudaines de réjouissance, suivant d'aussi près la
prière du ministre, furent regardées comme un heureux présage par les
superstitieux paysans, qui poussèrent un cri de joie et, se remettant en
marche, furent bientôt arrivés aux confins de la ville.
Les sentiers et la chaussée étaient noirs d'une foule formée par la
population de la ville, hommes, femmes, enfants.
Beaucoup d'entre eux portaient des torches et des lanternes, et cette
masse serrée allait dans une même direction.
Nous les suivîmes, et nous nous trouvâmes sur
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