Micah Clarke - Tome II | Page 3

Arthur Conan Doyle
me porta à lui
rappeler qu'il y avait au moins un homme qui appréciait à leur valeur
les apparences qu'il se donnait.
--Avez-vous raconté au digne ministre, dis-je, votre captivité parmi les
Musulmans et la noble manière dont vous avez soutenu la foi
catholique à Istamboul?

--Non, s'écria notre compagnon, j'aurais bien du plaisir à entendre ce
récit. Je m'émerveille de voir qu'un homme aussi fidèle, aussi inflexible
que vous, ait été jamais mis en liberté par les impurs et sanguinaires
sectateurs de Mahomet.
--Il n'est pas bien séant que je fasse ce récit, dit Saxon avec un grand
sang-froid, en me jetant un regard de travers tout plein de venin. C'est à
mes camarades de mauvaise fortune et non à moi à décrire ce que j'ai
souffert pour la foi. Je suis à peu près certain, Maître Pettigrue, que
vous auriez fait comme moi, si vous vous étiez trouvé là-bas... La ville
de Taunton se déploie bien tranquillement devant nous, et il y a bien
peu de lumière pour une heure aussi avancée, vu qu'il est près de dix
heures. Il est clair que les troupes de Monmouth ne sont pas encore
arrivées, sans cela nous aurions vu des indices de bivouacs dans la
vallée; car s'il fait assez chaud pour dormir en plein air, les hommes
sont obligés de faire du feu pour préparer leur repas.
--L'armée aurait eu quelque peine à arriver aussi loin dit le ministre.
Elle a, à ce qu'on m'a appris, été très retardée par le manque d'armes et
le défaut de discipline. Songez aussi, que c'est le onze que s'effectua le
débarquement de Monmouth à Lyme et nous ne sommes qu'à la nuit du
quatorze. Il a fallu faire bien des choses dans ce temps.
--Quatre jours entiers! grommela le vieux soldat. Et pourtant je
n'attendais rien de mieux, vu le défaut de soldats éprouvés parmi eux, à
ce qu'on me dit. Par mon épée! Tilly ou Wallenstein n'auraient pas mis
quatre jours pour aller de Lyme à Taunton, quand même toute la
cavalerie du Roi Jacques aurait barré la route. Ce n'est pas ainsi, en
lambinant, qu'on mène les grandes entreprises. On doit frapper
fortement, brusquement. Mais, dites-moi, mon digne monsieur, car
nous n'avons guère recueilli en route que des rumeurs et des
suppositions, n'y a-t-il pas eu quelque sorte d'engagement à Bridport?
--En effet, il y a eu un peu de sang versé dans cette localité. Ainsi que
je l'ai appris, les deux premiers jours ont été employés à enrôler les
fidèles, et à chercher des armes pour les en pourvoir. Vous avez raison
de hocher la tête, car les heures étaient précieuses. À la fin, on parvint à
mettre en un certain ordre environ cinq cents hommes, auxquels on fit

longer la côte, sous le commandement de Lord Grey de Wark et de
Wade, l'homme de loi. À Bridport, ils se trouvèrent en face de la milice
rouge du Dorset et d'une partie des Habits jaunes de Portman. Si tout ce
qu'on dit est vrai, on n'a pas lieu de se montrer bien fier de part ni
d'autre. Grey et sa cavalerie ne cessèrent de tirer sur la bride que quand
ils furent revenus se mettre en sûreté à Lyme. On dit cependant que leur
fuite est plutôt imputable à la dureté de la bouche de leurs montures
qu'au peu de coeur des cavaliers. Wade et ses fantassins tinrent tête
bravement et eurent le dessus sur les troupes du Roi. On a beaucoup
crié dans le camp contre Grey, mais Monmouth n'a guère les moyens
de se montrer sévère à l'égard du seul gentilhomme qui ait rejoint son
drapeau.
--Peuh! fit Saxon, d'un ton bourru, les gentilshommes n'abondaient pas
dans l'armée de Cromwell, je crois, et pourtant elle a fait une bonne
figure contre le Roi, qui avait autour de lui autant de Lords qu'il y a de
baies dans un buisson. Si vous avez le peuple pour vous, à quoi bon
rechercher ces beaux gentlemen à perruque, dont les blanches mains et
les fines rapières rendent autant de services que des épingles à cheveux.
--Sur ma foi, dis-je, si tous les freluquets font aussi peu de cas de leur
vie que notre ami Sir Gervas, je ne souhaiterais pas de meilleurs
compagnons sur le champ de bataille.
--Et c'est la vérité, oui, s'écria avec conviction Maître Pettigrue. Et
pourtant, comme Joseph, il porte un habit de bien des couleurs, et il a
d'étranges façons de parler. Personne n'aurait pu combattre avec tant de
bravoure, ni fait meilleure figure contre les ennemis d'Israël.
Assurément ce jeune homme a du bon dans le coeur, et deviendra un
séjour de la grâce et un vaisseau de l'Esprit, quoique pour le moment il
soit empêtré dans le filet des folies mondaines et des vanités charnelles.
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