étions.
--C'est pour cette raison-là que j'ai interdit à nos hommes armés de
mousquets de riposter, dit Saxon. Leur silence a fait croire à l'ennemi
que nous n'avions à nous tous qu'un ou deux pistolets. Aussi notre feu a
été d'autant plus terrifiant qu'il était plus inattendu. Je parierais que
parmi eux il n'y a pas un homme qui ne comprenne qu'il a été attiré
dans un piège. Remarquez comme ces coquins ont fait volte-face et pris
la fuite, comme si cela faisait partie de leur exercice journalier.
--Les paysans ont reçu le choc comme des hommes, fis-je remarquer.
--Il n'y a rien de tel qu'une teinture de calvinisme, pour tenir bien raide
une ligne de bataille, dit Saxon. Voyez le Suédois quand il est dans ses
foyers. Où trouverez-vous un homme au coeur plus honnête, plus
simple, plus dépourvu de toute qualité militaire, si ce n'est qu'il est
capable d'ingurgiter plus de bière de bouleau que vous ne pourrez en
payer. Et pourtant il suffit de le bourrer de quelques textes énergiques,
familiers, de lui mettre une pique entre les mains, et de lui donner pour
chef un Gustave, et il n'y a pas au monde d'infanterie capable de lui
résister. D'autre part, j'ai vu de jeunes Turcs, sans éducation militaire,
batailler en l'honneur du Koran avec autant d'entrain que l'ont fait les
gaillards, qui nous suivent, en l'honneur de la Bible que Maître
Pettigrue portait devant eux.
--J'espère, dit gravement le ministre, que par ces remarques vous n'avez
pas l'intention d'établir une comparaison quelconque entre nos écritures
sacrées et les compositions de l'imposteur Mahomet, non plus que
d'inférer une analogie, entre la furie que le diable inspire aux incroyants
Sarrasins, et le courage chrétien des fidèles qui luttent.
--En aucune façon, répondit Saxon en m'adressant un ricanement par
dessus la tête du ministre, je me bornais à montrer combien le malin est
habile à imiter les influences de l'Esprit.
--Ce n'est que trop vrai, Maître Saxon, dit le ministre avec tristesse.
Parmi les débats et les discordes, il est bien difficile de discerner la
vraie route. Mais je m'émerveille de ce que, au milieu des pièges et
tentations qui assaillent la vie de soldat, vous vous soyez conservé pur
de souillure, et le coeur toujours fidèle à la vraie foi.
--Cette force là ne me venait point de moi-même, dit Saxon d'un ton
pieux.
--En vérité, en vérité, s'écria Maître Josué, des hommes comme vous
sont bien nécessaires dans l'armée de Monmouth. Il s'en trouve
plusieurs, à ce qu'on m'a dit, qui viennent de Hollande, du Brandebourg,
de l'Écosse, et qui ont été formés à l'art de la guerre, mais ils ont si peu
cure de la cause que nous soutenons, qu'ils jurent et sacrent de manière
à épouvanter nos paysans et à attirer sur l'armée une condamnation d'en
haut. Il en est d'autres qui tiennent fermement pour la vraie foi et qui
ont été élevés parmi les justes, mais hélas! ils n'ont aucune expérience
du camp et de la campagne. Notre Divin Maître peut agir par le moyen
de faibles instruments, mais il n'est pas moins certain que tel peux être
choisi pour briller dans la chaire, et être malgré cela peu capable de se
rendre utile dans une échauffourée comme celle que nous vîmes
aujourd'hui. Pour ma part, je sais disposer un discours de façon à
satisfaire mon troupeau, et que mes auditeurs soient fâchés de voir le
sablier fini, mais je sens que ce talent ne servirait à bien peu de chose
quand il s'agirait de dresser des barricades, ou d'employer les armes
charnelles. C'est ainsi que cela se passe dans l'armée des fidèles: ceux
qui ont les capacités pour commander sont mal vus du peuple, tandis
que ceux dont le peuple écoute volontiers la parole sont peu entendus
aux choses de la guerre. Maintenant nous avons vu en ce jour que vous
êtes un homme de tête et d'action, et néanmoins de vie modeste et
réservée, plein d'aspirations après la Parole, et de menaces contre
Apollyon. En conséquence, je vous le répète, vous serez parmi eux un
véritable Josué, ou bien un Samson, destiné à briser les colonnes
jumelles du Prélatisme et du Papisme, de façon à ensevelir dans sa
chute ce gouvernement corrompu.
Decimus Saxon s'en tint pour toute réponse à un de ces grognements
qui passaient parmi ces fanatiques pour la manifestation d'une intense
agitation, d'une émotion intérieure.
La physionomie était si austère, si pieuse, ses gestes si solennels.
Il répétait tant de fois sa grimace, levant les yeux, joignant les mains, et
faisant tant d'autres simagrées qui caractérisaient le sectaire exalté, que
je ne pus m'empêcher d'admirer la profondeur et la perfection de
l'hypocrisie qui avait enveloppé si complètement sous son manteau sa
nature rapace.
Un mouvement malicieux, que je ne pus maîtriser,
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