Micah Clarke - Tome I | Page 8

Arthur Conan Doyle
père plein de sévérité et de rigueur, et nous
punissait rudement de tout ce qu'il désapprouvait dans notre conduite.
Il avait une provision de proverbes de ce genre: «Rassasiez un enfant,
et donnez à satiété à un jeune chien, et ni l'un ni l'autre ne feront un
effort» ou bien: «Les enfants sont des soucis certains et des
consolations incertaines» et il s'en servait pour modérer les impulsions
plus indulgentes de ma mère.
Il ne pouvait souffrir de nous voir jouer au tric-trac sur l'herbe, ou
danser le samedi soir avec les autres enfants.
Quant à ma mère, excellente créature, c'était son influence calmante,
pacifiante qui retenait mon père dans de certaines bornes et qui
adoucissait sa sévère discipline.
Et vraiment il était rare qu'en ses moments les plus sombres, il ne fût
calmé par le contact de cette main si douce, que son esprit ardent ne fut
apaisé par le son de cette voix.
Elle appartenait à une famille de gens de l'Église, et elle tenait à sa
religion avec une force tranquille, à l'épreuve de tout ce qu'on pouvait
tenter pour l'en détourner.
Je me figure qu'à une certaine époque son mari avait beaucoup raisonné
avec elle sur l'Arminianisme, sur le péché de simonie, mais qu'il avait
reconnu l'inutilité de ses exhortations, et laissé-là ces sujets, excepté en
de très rares occasions.
Toutefois bien que fervente pour l'Épiscopat, elle était restée
profondément Whig et ne permettait jamais que son loyalisme envers le

trône obscurcît son jugement sur les actes du monarque qui l'occupait.
Il y a cinquante ans, les femmes étaient bonnes ménagères, et elle se
distinguait parmi les meilleures.
Quand on voyait ses manchotes immaculées, son tablier d'une
blancheur de neige, on avait peine à croire qu'elle fût une rude
travailleuse.
Seules la bonne tenue de la maison, la propreté des chambres exemptes
de toute poussière, démontrait son activité.
Elle composait des remèdes, des eaux pour les yeux, des poudres et
compositions, du cordial et du persicot, ou du noyau de pêche, de l'eau
de fleur d'oranger, de l'eau de vie de cerise, chaque chose en son temps,
et le tout dans la perfection.
Elle s'entendait également en herbes et en simples.
Les villageois et les travailleurs des champs aimaient mieux la
consulter sur leurs indispositions que d'aller trouver le docteur Jackson,
de Purbrook, qui ne prenait jamais moins d'une couronne d'argent pour
composer un remède.
Dans tout le pays, il n'y avait pas de femme qui fût l'objet d'un respect,
d'une estime mieux mérités, de la part de ses supérieurs et de ses
inférieurs.
Tels étaient mes parents, d'après les souvenirs de mon enfance.
Quand à moi, je laisserai mon récit expliquer le développement de mon
caractère.
Mes frères et ma soeur étaient tous de solides bambins campagnards,
aux figures brunies, sans autre particularité bien marquée qu'un
penchant à jouer de mauvais tours, modéré par la crainte de leur père.
Eux et notre servante Marthe composèrent toute notre maisonnée
pendant ces années de jeunesse première où l'âme flexible de l'enfant

s'affermit pour former le caractère de l'homme fait.
Quelle influence ces choses exercèrent-elles sur moi, c'est ce que je
dirai dans une séance future, et si je vous ennuie en vous les rapportant,
il vous faudra songer que je raconte ces choses pour votre profit plutôt
que pour votre amusement et qu'il peut vous être utile, dans votre
voyage à travers la vie, de savoir comment un autre y a cherché son
chemin avant vous.

II--Je suis envoyé à l'école. Je la quitte.
D'après les influences domestiques que j'ai décrites, on n'aura pas de
peine à croire que mon jeune esprit se préoccupait beaucoup des choses
de la religion, d'autant plus que mon père et ma mère avaient à ce sujet
des vues différentes.
Le vieux soldat puritain était convaincu que la Bible seule contenait
tout ce qui est nécessaire pour le salut, et que s'il est avantageux que les
hommes doués de sagesse ou d'éloquence développent les Écritures à
leurs frères, il n'est pas du tout nécessaire, il est même plutôt nuisible
qu'il existe un corps organisé de ministres ou d'évêques, prétendant à
des prérogatives spéciales, ou s'arrogeant le rôle de médiateurs entre la
créature et le créateur.
Il professait le plus amer mépris à l'égard des opulents dignitaires de
l'Église, qui se rendaient en carrosse à leurs cathédrales pour y prêcher
les doctrines de leur Maître, alors que celui-ci usait ses sandales à
parcourir pédestrement les campagnes.
Il n'était pas plus indulgent envers ces membres pauvres du clergé qui
fermaient les yeux sur les vices de leurs protecteurs, afin de s'assurer
une place à la table de ceux-ci, et qui restaient tout une soirée à
entendre des propos scandaleux plutôt que de dire adieu aux tartes, au
fromage et au flacon de vin.
L'idée que
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