un prédicateur ambulant des
Indépendants, et ses enseignements religieux avaient rendu mon père
sombre et excitable.
Un soir, je m'étais couché comme d'habitude, et je dormais
profondément, côte à côte avec mes deux frères, lorsque nous fûmes
réveillés et nous reçûmes l'ordre de descendre.
Nous nous habillâmes à la hâte.
Nous suivîmes mon père dans la cuisine, où ma mère, pâle, effarée,
était assise, tenant Ruth sur ses genoux.
--Réunissez-vous autour de moi, mes enfants, dit-il d'une voix profonde
et solennelle, afin que nous puissions paraître tous ensemble devant le
Trône. Le Royaume du Seigneur est proche; oh! tenez-vous prêts à
l'accueillir. Cette nuit même, mes bien-aimés, vous Le verrez dans sa
splendeur, avec les Anges et les Archanges dans leur puissance et leur
gloire. À la troisième heure, il viendra, à cette troisième heure qui
s'approche de nous.
--Cher Joe, dit ma mère, d'un ton câlin, tu t'épouvantes toi-même et tu
terrifies les enfants hors de propos. S'il est certain que le Fils de
l'Homme vient, qu'importe que nous soyons levés ou couchés?
--Silence, femme, répondit-il d'une voix sévère, n'a-t-il pas dit qu'il
viendrait dans la nuit comme un larron, et que c'est à nous d'être en
attente. Joignez-vous donc à moi en de continuelles prières, pour que
nous soyons là en costume de fiançailles. Rendons-lui grâce pour la
bonté qu'il nous a témoignée en nous avertissant par la voix de son
serviteur. Ô Dieu grand, jette un regard sur ce petit troupeau et
conduis-le au bercail. Ne mêle pas le peu de grain au grand amas de
paille. Ô père miséricordieux, vois avec clémence mon épouse, et
pardonne-lui la faute de l'Érastianisme, vu qu'elle n'est qu'une femme,
et peu en état de rompre les chaînes de l'Antéchrist dans lesquelles elle
est née. Et ceux-ci, pareillement, mes jeunes enfants, Michée et Hosea,
et Ephraïm et Ruth, dont les noms mêmes sont ceux de tes fidèles
serviteurs d'autrefois. Oh! place-les cette nuit à ta droite.
C'est ainsi qu'il priait, dans un flot emporté de paroles ardentes ou
touchantes, qu'il se tordait prosterné sur le sol, en la véhémence de ces
supplications, pendant que nous, pauvres mignons tremblants, nous
nous serrions contre les jupes de notre mère, et que nous regardions
avec épouvante sa figure bouleversée, à la faible lumière de la modeste
lampe à huile.
Soudain retentit la sonnerie de l'horloge toute neuve de l'église, pour
nous apprendre que l'heure était venue.
Mon père se releva brusquement, courut à la fenêtre, regarda au dehors,
les yeux brillants de l'attente, vers les cieux étoilés.
Évoquait-il une vision à son cerveau excité, ou bien le flot des
sensations qui l'assaillirent en voyant que son attente était vaine, était-il
trop violent pour lui?
Il leva ses longs bras, jeta un cri rauque et tomba à la renverse, l'écume
aux lèvres, les membres agités par des secousses.
Durant une heure et plus, ma pauvre mère et moi, nous fîmes tous nos
efforts pour le calmer, pendant que les petits pleurnichaient dans un
coin.
À la fin, il se redressa en chancelant, et de quelques mots brefs
entrecoupés, il nous renvoya dans nos chambres.
Depuis cette époque, je ne l'ai jamais entendu faire allusion à ce sujet,
et il ne nous apprit à aucune époque pour quelle raison il avait cru
fermement que le second advent devait se produire cette nuit-là.
Mais j'ai été informé depuis que le prédicateur qui logeait chez nous
était un de ceux qu'on nommait alors les hommes de la Cinquième
Monarchie, et que cette secte était particulièrement sujette à répandre
des avertissements de cette sorte.
Je ne doute pas que des propos tenus par lui n'aient fait entrer cette idée
dans la tête de mon père et que son ardent naturel n'ait fait le reste.
Tel était donc votre arrière-grand-père, Joe Côte-de-fer.
J'ai jugé à propos de retracer ces traits à vos yeux, conformément au
principe selon lequel les actes parlent plus haut que les mots.
J'estime que quand on décrit le caractère d'un homme, il vaut mieux
citer des exemples de ses façons d'agir que parler en termes vagues et
généraux.
Si j'avais dit qu'il était farouche en sa religion, qu'il était sujet à
d'étranges crises de piété, ce langage aurait pu ne faire sur vous qu'une
faible impression, mais après que vous aurez entendu conter son
algarade avec les officiers dans la cour de la tannerie, et l'ordre qu'il
nous donna, au milieu de la nuit, d'attendre le second advent, vous êtes
en état de juger par vous mêmes jusqu'à quelles extrémités sa croyance
pouvait l'entraîner.
D'autre part, il s'entendait parfaitement aux affaires.
Il se montrait probe et même large dans ses relations.
Il avait le respect de tous et l'affection d'un petit nombre, car il était
d'un naturel trop concentré pour faire naître beaucoup d'affection.
Pour nous il était un
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