en ordre, sans prétention,
devant vous.
Je m'efforcerai de faire revivre ces morts pour vous, de faire sortir des
brumes du passé ces scènes qui étaient des plus vives au moment où
elles se passaient et dont le récit devient si monotone et si fatigant sous
la plume des dignes personnages qui se sont consacrés à les rapporter.
Peut-être aussi mes paroles ne feront-elles, à l'oreille des étrangers, que
l'effet d'un bavardage de vieillard.
Mais vous, vous savez que ces mêmes yeux qui vous regardent, ont
aussi regardé les choses que je décris, et que cette main a porté des
coups pour une bonne cause, et ce sera dès lors tout autre chose pour
vous, j'en suis sûr.
Tout en m'écoutant, ne perdez pas de vue que c'était votre querelle
aussi bien que la nôtre, celle pour laquelle nous combattions, et que si
maintenant vous grandissez pour devenir des hommes libres dans un
pays libre, pour jouir du privilège de penser ou de prier comme vous
l'enjoindront vos consciences, vous pouvez rendre grâces à Dieu de
récolter la moisson que vos pères ont semée dans le sang et la
souffrance, lorsque les Stuarts étaient sur le trône.
C'était en ce temps-là, en 1664, que je naquis, à Havant, village
prospère, situé à quelques milles de Portsmouth, à peu de distance de la
grande route de Londres, et ce fut là que je passai la plus grande partie
de ma jeunesse.
Havant est aujourd'hui, comme il était alors, un village agréable et sain,
avec ses cent et quelques cottages de briques dispersée de façon à
former une seule rue irrégulière.
Chacun d'eux était précédé de son jardinet et avait parfois sur le
derrière un ou deux arbres fruitiers.
Au milieu du village s'élevait la vieille église au clocher carré, avec son
cadran solaire pareil à une ride sur sa façade grise et salie par le temps.
Les Presbytériens avaient leur chapelle dans les environs, mais après le
vote de l'Acte d'Uniformité, leur bon ministre, Maître Breckinridge,
dont les discours avaient bien des fois attiré une foule nombreuse sur
des bancs grossiers, pendant que les sièges confortables de l'église
restaient déserts, fut jeté en prison et son troupeau dispersé.
Quant aux Indépendants, du nombre desquels était mon père, ils étaient
également sous le coup de la loi, mais ils se rendaient à l'assemblée
d'Elmsworth.
Mes parents et moi, nous y allions à pied, qu'il plût ou qu'il fît beau,
chaque dimanche matin.
Ces réunions furent dispersées plus d'une fois, mais la congrégation
était formée de gens si inoffensifs, si aimés, si respectés de leurs
voisins, qu'au bout d'un certain temps les juges de paix finirent par
fermer les yeux, et par les laisser pratiquer leur culte, comme ils
l'entendaient.
Il y avait aussi, parmi-nous, des Papistes, qui étaient obligés d'aller
jusqu'à Portsmouth pour entendre la messe.
Comme vous le voyez, si petit que fut notre village, il représentait en
miniature le pays entier, car nous avions nos sectes et nos factions, et
toutes n'en étaient que plus âpres, pour être renfermées dans un espace
aussi étroit.
Mon père, Joseph Clarke, était plus connu dans la région sous le nom
de Joe Côte-de-fer, car il avait servi, en sa jeunesse, dans la troupe
d'Yaxley qui avait formé le fameux régiment de cavalerie d'Olivier
Cromwell.
Il avait prêché avec tant d'entrain, il s'était battu avec tant de courage,
que le vieux Noll en personne le tira des rangs après la bataille de
Dunbar, et l'éleva au grade de cornette.
Mais le hasard fit que quelque temps après, comme il avait engagé une
discussion avec un de ses hommes au sujet du mystère de la Trinité, cet
individu, qui était un fanatique à moitié fou, frappa mon père à la figure,
et celui-ci rendit le compliment avec un coup d'estoc de son sabre, qui
envoya son adversaire se rendre compte en personne de la vérité de ses
dires.
Dans la plupart des armées, on aurait admis que mon père était dans
son droit en punissant séance tenante un acte d'indiscipline aussi
scandaleux; mais les soldats de Cromwell se faisaient une si haute idée
de leur importance et de leurs privilèges qu'ils s'offenseront de cette
justice sommaire accomplie sur leur camarade.
Mon père comparut devant un conseil de guerre, et il est possible qu'il
aurait été offert en sacrifice pour apaiser la fureur de la soldatesque, si
le Lord Protecteur n'était intervenu et n'avait réduit la punition au
renvoi de l'armée.
En conséquence, le cornette Clarke se vit enlever sa cotte de buffle et
son casque d'acier.
Il s'en retourna à Havant et s'y établit négociant en cuirs et tanneur, ce
qui priva le Parlement du soldat le plus dévoué qui eût jamais porté
l'épée à son service.
Voyant qu'il prospérait dans son commerce, il épousa Marie Shopstone,
jeune
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