L'union était loin d'être faite dans les rangs de celle-ci.
Le duc d'Argyle se considérait comme maître chez lui en Écosse et
entendait agir d'après ses propres inspirations. Il eut soin de ne
paraître à Rotterdam qu'après le départ de Monmouth qu'il jalousait et
quand on lui parla de différer l'exécution des projets anciens, il fit
grand étalage de ses espérances et des promesses de concours qu'il
avait reçues d'Écosse, ayant toujours grand soin de faire entendre qu'il
était un chef d'armée et non un lieutenant. Il acheta une frégate,
s'équipa et arma un corps d'expédition. Cette attitude obligea les exilés
à précipiter leurs plans. Monmouth, dans ses entrevues avec eux, s'était
présenté avant tout comme un protestant anglais. Légitime fils de
Charles II, disait-il, il avait légalement droit à la couronne que portait
son oncle, mais il ne voulait prendre le titre de roi que autant que ses
associés le jugeraient utile à la cause commune. Il se déclarait même
en ce cas prêt à abdiquer ce titre après le succès et à rentrer dans le
rang. Au besoin il servirait sous le duc d'Argyle. La proposition ne
pouvait sourire au chef écossais. Il visita personnellement Monmouth
pour lui démontrer qu'une guerre de partisans n'était pas son fait et
qu'il valait bien mieux qu'il attendit que l'Angleterre put se soulever.
Monmouth, à son tour, lui représenta que la politique adoptée par
Jacques II était plutôt propre à remédier aux plus criants abus du
précédent règne. Argyle se déclara prêt à partir au début de mai. Alors
Monmouth assura aux gentilshommes écossais qu'il mettrait à la voile
six jours plus tard.
Jusqu'à l'arrivée des agents des exilés, l'Angleterre était paisible. Au
début de son règne, Jacques II paraissait prendre à tâche de donner
toute satisfaction au parti modéré. En quittant le lit de mort de son
frère, n'avait-il pas promis dans un bref discours au Conseil privé de
soutenir l'Église d'Angleterre, propos qui avaient encore été accentués
dans la proclamation rédigée par le solicitor général Finch. Toutes les
lettres qu'écrivaient de Rome ou du Vatican les agents catholiques
recommandaient la patience, la modération et le respect pour les
préjugés du peuple anglais. Mais tandis que Jacques rêvait ainsi la
liberté de conscience pour tous ses sujets, sauf les catholiques à qui
celle-ci faisait défaut, nul n'était disposé à accepter pour autrui une
liberté qui paraissait un empiétement sur des droits acquis. Les
Dissenters, comme le clergé épiscopal, paraissaient convaincus que la
déclaration ne profiterait qu'aux Catholiques. Les épiscopaux se
refusèrent à lire la déclaration à la presque unanimité et les Dissenters
marquaient qu'ils préféraient à la liberté pour eux un système résolu de
persécution contre les Papistes. Les choses s'envenimaient encore
quand on apprit que les portes de la chapelle de la reine à Saint James
s'ouvraient toutes grandes et que le roi entendait la messe avec une
pompe officielle. Les gardes du corps formant la haie, les chevaliers de
la Jarretière, les lords les plus illustres suivant le roi jusqu'à son
prie-dieu, parurent à tous menacer d'un bouleversement atroce le
monde protestant et aux appels des prédicants les recrues de
Monmouth se groupèrent le long des chemins.
Albert Savine.
I--Le cornette Joseph Clarke, des Côtes de fer.
Il est possible, mes chers petits-enfants, qu'à des moments divers je
vous aie conté presque tous les incidents survenus en ma vie pleine
d'aventures.
Du moins il n'en est aucun, je le sais, qui ne soit bien connu de votre
père et de votre mère.
Toutefois, quand je vois que le temps s'écoule, et qu'une tête grise est
sujette à ne plus contenir qu'une mémoire défaillante, il m'est venu à
l'idée d'utiliser ces longues soirées d'hiver à vous exposer tout cela, en
bon ordre, depuis le commencement, de telle sorte que vous puissiez
avoir dans vos esprits une image claire, que vous transmettrez dans ce
même état à ceux qui viendront après vous.
Car, maintenant que la Maison de Brunswick est solidement établie sur
le trône et que la paix règne dans le pays, il vous sera chaque année de
moins en moins aisé de comprendre les sentiments des gens de ma
génération, au temps où Anglais combattaient contre Anglais et où
celui qui aurait dû être le bouclier et le protecteur de ses sujets, n'avait
d'autre pensée que de leur imposer par la force ce qu'ils abhorraient et
détestaient le plus.
Mon histoire est de celles que vous ferez bien de mettre dans le trésor
de votre mémoire, pour la conter ensuite à d'autres, car selon toute
vraisemblance, il ne resta dans tout ce comté de Hampshire aucun
homme vivant qui soit en état de parler de ces événements d'après sa
propre connaissance, ou qui y ait joué un rôle plus marqué.
Tout ce que je sais, je tâcherai de le classer
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