assoupissement,
se dessinait sur ses joues, que la chaleur généreuse du vin colorait d'un
rosé plus vif qu'à l'ordinaire. Le comte continua de marcher
silencieusement dans la chambre jusqu'à ce que le claquement des
fouets et les pieds des chevaux eussent annoncé que la calèche était
prête. Le vieux domestique d'Olivier vint lui offrir une pelisse fourrée
que le jeune homme passa en bâillant et en se frottant les yeux. Il ne
s'éveilla tout à fait que pour prendre le bras de Buondelmonte et le
forcer de monter le premier dans sa voiture, qui prit aussitôt la route, de
Florence. «Parbleu! dit-il en regardant la nuit qui était sombre, ce
temps de voleurs me rappelle une histoire que j'ai entendu raconter sur
lady Mowbray.
--Encore? dit le comte; lady Mowbray vous occupe beaucoup.
--Ne me demandiez-vous pas quel trait de son caractère m'avait le plus
enthousiasme? Je ne saurais dire lequel; mais voici une aventure qui
m'a rendu plus envieux de voir lady Mowbray que Rome, Venise et
Naples. Vous allez me dire si celle-là est aussi vraie que la première.
Un jour qu'elle traversait les Apennins avec son heureux amant
Buondelmonte, ils furent attaqués par des voleurs; le comte se défendit
bravement contre trois hommes; il en tua un, et luttait contre les deux
autres lorsque lady Mowbray, qui s'était presque évanouie dans le
premier accès de surprise, s'élança hors de la calèche et tomba sur le
cadavre du brigand que Buondelmonte avait tué. Dans ce moment
d'horreur, ranimée par une présence d'esprit au-dessus de son sexe, elle
vit à la ceinture du brigand un grand pistolet dont il n'avait pas eu le
temps de faire usage, et que sa main semblait encore presser. Elle
écarta cette main encore chaude, arracha le pistolet de la ceinture, et se
jetant au milieu des combattants, qui ne s'attendaient à rien de
semblable, elle déchargea le pistolet à bout portant dans la figure d'un
bandit qui tenait Buondelmonte à la gorge. Il tomba roide mort, et
Buondelmonte eut bientôt fait justice du dernier. N'est-ce pas là encore
une belle histoire, monsieur?
--Aussi belle que vraie, répéta Buondelmonte. Le courage de lady
Mowbray la soutint encore quelque temps après cette terrible scène. Le
postillon, à demi-mort de peur, s'était tapi dans un fossé, les chevaux
effrayés avaient rompu leurs traits; le seul domestique qui accompagnât
les voyageurs était blessé et évanoui. Buondelmonte et sa compagne
furent obligés de réparer ce désordre en toute hâte; car à tout instant
d'autres bandits, attirés par le bruit du combat, pouvaient fondre sur eux,
comme cela arrive souvent. Il fallut battre le postillon pour le ranimer,
bander la plaie du domestique, qui perdait tout son sang, le porter dans
la voiture, et ratteler les chevaux. Lady Mowbray s'employa à toutes les
choses avec une force de corps et d'esprit vraiment extraordinaire. Elle
avisait à tous les expédients, et trouvait toujours le plus sûr et le plus
prompt moyen de sortir d'embarras. Ses belles mains, souillées de sang,
rattachaient des courroies, déchiraient des vêtements, soulevaient des
pierres. Enfin tout fut réparé, et la voiture se remit en route. Lady
Mowbray s'assit auprès de son amant, le regarda fixement, fit un grand
cri et s'évanouit. A quoi pensez-vous? ajouta le comte en voyant Olivier
tomber dans le silence et la méditation.
--Je suis amoureux, dit Olivier.
--De lady Mowbray?
--Oui, de lady Mowbray.
--Et vous allez sans doute à Florence pour le lui déclarer? dit le comte.
--Je vous répéterai le mot que vous me disiez tantôt: «Pourquoi non?»
--En effet, dit le comte d'un ton sec, pourquoi non?» Puis il ajouta d'un
autre ton, et comme s'il se parlait à lui-même: «Pourquoi non?»
«Monsieur, reprit Olivier après un instant de silence, soyez assez bon
pour confirmer ou démentir une troisième histoire qui m'a été racontée
à propos de lady Mowbray, et qui me semble moins belle que les deux
premières.
--Voyons, monsieur.
--On dit que le comte de Buondelmonte quitte lady Mowbray.
--Pour cela, monsieur, répondit le comte très-brusquement, je n'en sais
rien, et n'ai rien à vous dire.
--Mais, moi, on me l'a assuré, reprit Olivier; et, quelque triste que soit
ce dernier dénoûment, il ne me parait pas impossible.
--Mais que vous importe? dit le comte.
--Vous êtes le comte de Buondelmonte,» dit Olivier, vivement frappé
de l'accent de son compagnon; et lui saisissant le bras, il ajouta: «Et
vous ne quittez pas lady Mowbray?
--Je suis le comte de Buondelmonte, répondit celui-ci; le saviez-vous,
monsieur?
--Sur mon honneur! non.
--En ce cas vous n'avez pu m'offenser. Mais parlons d'autre chose.»
Ils essayèrent, mais la conversation languit bientôt. Tous deux étaient
contraints. Ils prirent d'un commun accord le parti de feindre le
sommeil. Aux premiers rayons du jour, Olivier, qui avait fini par
s'endormir tout de bon, s'éveilla au
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