milieu de Florence. Le comte prit
congé de lui avec une cordialité à laquelle il avait eu le temps de se
préparer.
«Voici ma demeure, lui dit-il en lui montrant un des plus beaux palais
de la ville, devant lequel le postillon s'était arrêté; et au cas où vous
oublieriez le chemin, vous me permettrez d'aller vous chercher pour
vous servir de guide moi-même. Puis-je savoir où vous descendrez, et à
quelle heure je pourrai, sans vous déranger, aller vous offrir mes
remerciements et mes services?
--Je n'en sais rien encore, répondit Olivier un peu embarrassé; mais il
est inutile que vous preniez cette peine. Aussitôt que je serai reposé,
j'irai vous demander vos bons offices dans cette ville, où je ne connais
personne.
--J'y compte, répondit Buondelmonte en lui tendant la main.
--Je m'en garderai bien,» pensa le Genevois en lui rendant sa politesse.
Ils se séparèrent.
«J'ai fait une belle école! se disait Olivier le lendemain matin en
s'éveillant dans la meilleure hôtellerie de Florence; je commence bien!
Aussi cet homme est fou d'avoir pris au sérieux les divagations d'un
étourdi à moitié ivre. J'ai réussi toutefois à me fermer la porte de lady
Mowbray, moi qui désirais tant la connaître! c'est horriblement
désagréable, après tout....» Il appela son valet de chambre pour qu'il lui
fit la barbe, et s'impatientait sérieusement de ne pouvoir retrouver dans
son nécessaire une certaine savonnette au garafoli qu'il avait achetée à
Parme, lorsque le comte de Buondelmonte entra dans sa chambre.
«Pardonnez-moi si j'entre en ami sans me faire annoncer, lui dit-il d'un
air riant et ouvert; j'ai su en bas que vous étiez éveillé, et je viens vous
chercher pour déjeuner avec moi chez lady Mowbray.»
Olivier s'aperçut que le comte cherchait dans ses yeux à deviner l'effet
de cette nouvelle. Malgré sa candeur, il ne manquait pas d'une certaine
défiance des autres; il avait en même temps une honnête confiance en
son propre jugement. On pouvait l'affliger, mais non le jouer ou
l'intimider.
«De tout mon coeur, répondit-il avec assurance, et je vous remercie,
mon cher compagnon de voyage, de m'avoir procuré cette faveur.
Maintenant nous sommes quittes.»
Les manières cordiales et franches de Buondelmonte ne se démentirent
point. Seulement, comme le jeune étranger, tout en se hâtant, donnait
des soins minutieux à sa toilette, le comte ne put réprimer un sourire
qu'Olivier saisit au fond de la glace devant laquelle il nouait sa cravate.
«Si nous faisons une guerre d'embûches, pensa-t-il, c'est fort bien;
avançons.» Il ôta sa cravate, et gronda son domestique de lui en avoir
donné une mal pliée. Le vieux Hantz en apporta une autre. «J'en
aimerais mieux un bleu de ciel,» dit Olivier; et quand Hantz eut apporté
la cravate bleu de ciel, Olivier les examina l'une après l'autre d'un air
d'incertitude et de perplexité.
«S'il m'était permis de donner mon avis, dit le valet de chambre
timidement...
--Vous n'y entendez rien, dit gravement Olivier; monsieur le comte, je
m'en rapporte à vous, qui êtes un homme de goût: laquelle de ces deux
couleurs convient le mieux au ton de ma figure?
--Lady Mowbray, répondit le comte en souriant, ne peut souffrir ni le
bleu ni le rose.
--Donnez-moi une cravate noire, dit Olivier à son domestique.»
La voiture du comte les attendait à la porte. Olivier y monta avec lui.
Ils étaient contraints tous deux, et cependant il n'y parut point.
Buondelmonte avait trop d'habitude du monde pour ne pas sembler ce
qu'il voulait être! Olivier avait trop de résolution pour laisser voir son
inquiétude. Il pensait que si lady Mowbray était d'accord avec
Buondelmonte pour se moquer de lui, sa situation pouvait devenir
difficile; mais si Buondelmonte était seul de son parti, il pouvait être
agréable de le tourmenter un peu. En secret, leur première sympathie
avait fait place à une sorte d'aversion. Olivier ne pouvait pardonner au
comte de l'avoir laissé parler à tort et à travers sans se nommer; le
comte avait sur le coeur, non les étourderies qu'Olivier avait débitées la
veille, mais le peu de repentir ou de confusion qu'il en montrait.
Lady Mowbray habitait un palais magnifique; le comte mit quelque
affectation à y entrer comme chez lui, et à parler aux domestiques
comme s'ils eussent été les siens. Olivier se tenait sur ses gardes et
observait les moindres mouvements de son guide. La pièce où ils
attendirent était décorée avec un art et une richesse dont le comte
semblait orgueilleux, bien qu'il n'y eût coopéré ni par son argent ni par
son goût. Cependant il fit les honneurs des tableaux de lady Mowbray
comme s'il avait été son maître de peinture, et semblait jouir de
l'émotion insurmontable avec laquelle Olivier attendait l'apparition de
lady Mowbray.
Metella Mowbray était fille d'une Italienne et d'un Anglais; elle avait
les yeux noirs
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