N'ayant point encore aimé, et s'en croyant incapable, elle
allait y renoncer, lorsqu'un jeune homme tomba éperdument amoureux
d'elle et lui écrivit sans façon pour lui demander un rendez-vous.
--Vous a-t-on dit le nom de ce jeune homme? demanda Buondelmonte.
--Ma foi! je ne m'en souviens plus. C'était un Florentin; et vous devez
le connaître, car il est encore...»
Le comte l'interrompit afin d'éluder la question: «Et que répondit lady
Mowbray?
--Elle accorda le rendez-vous, résolue à punir le jeune homme de sa
fatuité et à le couvrir de ridicule. Elle avait préparé, à cet effet, je ne
sais quel guet-apens de bonne compagnie, dont je ne sais pas bien les
détails.
--N'importe, dit le comte.
--Le Florentin arriva donc; mais il était si beau, si aimable, si spirituel,
que lady Mowbray chancela dans sa résolution. Elle l'écouta parler,
hésita et l'écouta encore. Elle s'attendait à voir un impertinent qu'il
faudrait châtier; elle trouva un jeune homme sincère, ardent et
romanesque... Que vous dirai-je! Elle se sentit émue, et essaya pourtant
de lui faire peur en lui parlant de prétendus dangers qui l'environnaient.
Le Florentin était brave; il se mit à rire. Elle tenta alors de l'effrayer en
le menaçant de sa froideur et de sa coquetterie; il se mit à pleurer, et
elle l'aima... Si bien que le comte de... ma foi! je crois que son nom va
me revenir... Buonacorsi... Belmonte... Buondelmonte, ah! m'y voici! le
comte de Buondelmonte eut le pouvoir d'attendrir ce coeur rebelle.
Lady Mowbray fixa à Florence ses affections et sa vie. Le comte de
Buondelmonte fut son premier et son seul amant sur la joyeuse terre
d'Italie. Maintenant que je vous ai raconté cette histoire telle qu'on me
l'a donnée, dites-moi, vous qui êtes de Florence, si elle est vraie de tout
point... Et cependant, si elle ne l'est pas, ne me dites pas que'c'est un
conte fait à plaisir; il est trop beau pour que je sois désabusé sans
regret!
--Monsieur, dit le comte, dont la figure avait pris une expression grave
et pensive, cette histoire est belle et vraie. Le comte de Buondelmonte a
vécu dix ans le plus heureux et le plus envié des hommes aux pieds de
lady Mowbray.
--Dix ans! s'écria Olivier.
--Dix ans, monsieur, reprit Buondelmonte. Il y a dix ans que ces choses
se sont passées.
--Dix ans! répéta le jeune homme; lady Mowbray ne doit plus être
très-jeune.»
Le comte ne répondit rien.
«On m'a pourtant assuré à Aix, poursuivit Olivier, qu'elle était toujours
belle comme un ange, qu'elle était grande, légère, agile, qu'elle galopait
au bord des précipices sur un vigoureux cheval, qu'elle dansait à
merveille. Elle doit avoir trente ans environ, n'est-ce pas, monsieur?
--Qu'importe son âge! dit le comte avec impatience. Une femme n'a
jamais que l'âge qu'elle paraît avoir, et tout le monde vous l'a dit: lady
Mowbray est toujours belle. On vous l'a dit, n'est-ce pas?
--On me l'a dit partout, à Aix, à Berne, à Gênes, dans tous les lieux où
elle a passé.
--Elle est admirée et respectée, dit le comte.
--Oh! monsieur, vous la connaissez, vous êtes son ami peut-être? Je
vous en félicite; quelle réputation plus glorieuse que celle de savoir
aimer? Que ce Buondelmonte a dû être lier de retremper cette belle âme
et de voir refleurir cette plante courbée par l'orage!»
Le comte fit une légère grimace de dédain. Il n'aimait pas les phrases de
roman, peut-être parce qu'il les avait aimées jadis. Il regarda fixement
le Genevois; mais voyant que celui-ci se grisait décidément, il voulut
en profiter pour échanger avec un homme sincère et confiant des idées
qui le gênaient depuis longtemps.
Sans se donner la peine de feindre beaucoup de désintéressement, car
Olivier n'était plus en était de faire de très-clairvoyantes observations,
le comte posa sa main sur la sienne, afin d'appeler son attention sur le
sens de ses paroles.
«Pensez-vous, lui demanda-t-il, qu'il ne soit pas plus glorieux pour un
homme d'ébranler la réputation, d'une femme que de la rétablir quand
elle a' reçu, à tort ou à raison de notables échecs?
--Ma foi, ce n'est pas mon opinion, dit Olivier. J'aimerais mieux relever
un temple que de l'abattre.
--Vous êtes un peu romanesque, dit le comte.
--Je ne m'en défends pas, cela est de mon âge; et ce qui prouve que les
exaltés n'ont pas toujours tort, c'est que Buondelmonte fut récompensé
d'une heure d'enthousiasme par dix ans d'amour.
--Lui seul pourrait être juge dans cette question,» reprit le comte; et il
se promena dans la chambre, les mains derrière le dos et le sourcil
froncé. Puis, craignant de se laisser deviner, il jeta un regard de côté sur
son compagnon. Olivier avait la tête penchée en avant, le coude dans
son assiette, et l'ombre de ses cils, abaissés par un doux
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