Maria Chapdelaine | Page 5

Louis Hamon
guides que la main de son ��re avait laiss�� ��chapper.
Le chemin glac�� longeait la rivi��re glac��e. Sur l'autre rive les maisons s'espa?aient, path��tiquement ��loign��es les unes des autres, chacune entour��e d'une ��tendue de terrain d��frich��. Derri��re ce terrain, et des deux c?t��s c'��tait le bois qui venait jusqu'�� la berge: fond vert sombre et de cypr��s, sur lequel quelques troncs de bouleaux se d��tachaient ?�� et l��, blancs et nus comme les colonnes d'un temple en ruine.
De l'autre c?t�� du chemin la bande de terre d��frich��e ��tait plus large et continue; les maisons plus rapproch��es semblaient prolonger le village en avant-garde; mais toujours derri��re les champs nus la lisi��re des bois apparaissait et suivait comme une ombre, interminable bande sombre entre la blancheur froide du sol et le ciel gris.
--Charles-Eug��ne, marche un peu!
Le p��re Chapdelaine s'��tait r��veill�� et ��tendait la main vers le fouet dans son geste habituel de menace d��bonnaire; mais quand le cheval ralentit de nouveau apr��s quelques foul��es plus vives, il s'��tait d��j�� rendormi, les mains ouvertes sur ses genoux et montrant les paumes luisantes de ses mitaines en cuir de cheval, le menton appuy�� sur le poil ��pais de son manteau.
Au bout de deux milles, le chemin escalada une c?te abrupte et entra en plein bois. Les maisons qui depuis le village s'espa?aient dans la plaine s'��vanouirent d'un seul coup, et la perspective ne fut plus qu'une cit�� de troncs nus sortant du sol blanc. M��me l'��ternel vert fonc�� des sapins, des ��pinettes et des cypr��s se faisait rare; les quelques jeunes arbres vivants se perdaient parmi les innombrables squelettes couch��s �� terre et recouverts de neige, ou ces autres squelettes encore debout, d��charn��s et noircis. Vingt ans plus t?t les grands incendies avaient pass�� par l��, et la v��g��tation nouvelle ne faisait que poindre entre les troncs morts et les souches calcin��es. Les buttes se succ��daient, et le chemin courait de l'une �� l'autre en une succession de descentes et de mont��es gu��re plus profondes que le profil d'une houle de mer haute.
Maria Chapdelaine ajusta sa pelisse autour d'elle, cacha ses mains sous la grande robe de carriole en ch��vre grise, et ferma �� demi les yeux. Il n'y avait rien �� voir ici; dans les villages, les maisons et les granges neuves pouvaient s'��lever d'une saison �� l'autre, ou bien se vider et tomber en ruine; mais la vie du bois ��tait quelque chose de si lent qu'il e?t fallu plus qu'une patience humaine pour attendre et noter un changement.
Le cheval resta le seul ��tre pleinement conscient sur le chemin. Le tra?neau glissait facilement sur la neige dure, fr?lant les souches qui se dressaient des deux c?t��s au ras des orni��res; Charles-Eug��ne suivait exactement tous les d��tours, descendait au grand trot les courtes c?tes et remontait la pente oppos��e d'un pas lent, en b��te d'exp��rience tout �� fait capable de mener ses ma?tres au perron de leur maison sans ��tre importun��e de commandements ni de pes��es des guides.
Quelques milles encore, et le bois s'ouvrit de nouveau pour laisser repara?tre la rivi��re. Le chemin d��vala la derni��re butte du plateau pour descendre presque au niveau de la glace. Sur un mille de berge montante trois maisons s'espa?aient; mais celles-l�� ��taient bien plus primitives encore que les maisons du village, et derri��re elles on ne voyait presque aucun champ d��frich��, presque aucune trace des cultures de l'��t��, comme si elles n'avaient ��t�� baties l�� qu'en t��moignage de la pr��sence des hommes.
Charles-Eug��ne tourna brusquement sur la droite, raidit ses jambes de devant pour ralentir dans la pente et s'arr��ta net au bord de la glace. Le p��re Chapdelaine ouvrit les yeux.
--Tenez, son p��re, fit Maria, voil�� les cordeaux!
Il prit les guides, mais, avant de faire repartir son cheval, resta immobile quelques secondes, surveillant la surface de la rivi��re gel��e.
--Il est venu un peu d'eau sur la glace, dit-il et la neige a fondu; mais nous devons ��tre bons pour traverser pareil. Marche, Charles-Eug��ne!
Le cheval flaira la nappe blanche avant de s'y aventurer, puis s'en alla tout droit. Les orni��res permanentes de l'hiver avaient disparu; les jeunes sapins plant��s de distance en distance qui avaient marqu�� le chemin ��taient presque tous tomb��s et gisaient dans la neige mi-fondue; en passant pr��s de l'?le, la glace craqua deux fois, mais sans fl��chir. Charles-Eug��ne trottait all��grement vers la maison de Charles Lindsay, visible sur l'autre bord. Pourtant, lorsque le tra?neau arriva au milieu du courant, au-dessous de la grande chute, il dut ralentir �� cause de la mince couche d'eau qui s'��tendait l�� et d��trempait la neige. Lentement ils approch��rent de la rive; il ne restait plus que trente pieds �� franchir quand la glace commen?a �� craquer de nouveau et ondula sous les pieds du cheval.
Le p��re Chapdelaine s'��tait mis debout, bien r��veill�� cette fois, les yeux vifs et
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