Marcof le Malouin | Page 4

Ernest Capendu
infernale
tourmente, les marins, stupéfaits, demeurèrent immobiles.
--Tonnerre d'enfer!... chacun à son poste! hurla Marcof d'une voix
tellement impérieuse que ses hommes bondirent en avant.
Quelques secondes plus tard, _le Jean-Louis_, chargé de toiles, filait
sur les vagues, tellement penché à tribord que ses basses vergues
plongeaient entièrement dans l'Océan.
--Yvonne, reprit plus doucement Marcof en s'adressant à la jeune fille,
je suis fâché que ton père t'ait conduite à bord...
--Et pourquoi cela, Marcof?
--Parce que le temps est rude, ma fille, et que, s'il arrivait malheur au
_Jean-Louis_, le vieil Yvon ne s'en relèverait pas...
--Est-ce que vous craignez pour le lougre? demanda Jahoua.
--Il est entre les mains de Dieu, mon gars. Je fais ce que je puis, mais la
tempête est dure et les rochers de Penmarckh sont bien près.
--Sainte Vierge! protégez-nous! murmura la jeune fille.
--Ne craignez rien, ma douce Yvonne, dit Jahoua en s'approchant d'elle;

le bon Dieu voit notre amour et il nous sauvera. Si nous nous trouvons
embarqués à bord du _Jean-Louis_, n'allions-nous pas faire un
pèlerinage à la Vierge de l'Ile de Groix pour qu'elle bénisse notre union?
Dieu nous éprouve, mais il ne veut pas nous punir..... nous ne l'avons
pas mérité...
--Vous avez raison, Pierre, ayons confiance.
--En attendant, ma fille, reprit Marcof, va me chercher ce bout de grelin
qui est là roulé au pied du mât de misaine. Là, c'est bien! Maintenant
amarre-le solidement autour de ta taille; aide-la, Jahoua. Bon, ça y est;
approche, continua le marin en passant à son tour son bras droit dans le
reste de la corde à laquelle Yvonne avait fait un noeud coulant. Va! ne
crains rien, si nous sombrons en mer ou si nous nous brisons sur les
côtes, je te sauverai.
--Non, non, s'écria impétueusement Jahoua; si quelqu'un doit sauver
Yvonne en cas de péril, c'est à moi que ce droit appartient...
--Toi, mon gars, occupe-toi de tes affaires, et laisse-moi arranger les
miennes à ma guise. Yvon m'a confié sa fille, à moi, entends-tu, et je
dois la lui ramener ou mourir avec elle.
--S'il y a du danger, Marcof, laissez-moi et sauvez-vous!... s'écria
Yvonne.
--Terre! cria tout à coup une voix aiguë partie du haut de la mâture.
--Voilà le péril qui approche, murmura vivement Marcof à voix basse.
Silence tous deux et laissez-moi.
En ce moment, un éclair qui déchira les nues illumina l'horizon, et
malgré la nuit déjà sombre on put distinguer les falaises s'élevant
comme de gigantesques masses noires, par le tribord du _Jean-Louis_.
La rafale poussait le navire à la côte avec une effroyable rapidité.
--Marcof! dit le vieux Bervic en s'approchant vivement de son chef, au
nom de Dieu! fais carguer la toile ou nous sommes perdus.

--Silence... s'écria durement Marcof; à ton poste! Prends ta hache, et,
sur ta vie, fends la tête au premier qui hésiterait à obéir.
Le matelot gagna l'avant du navire sans répondre un seul mot, mais en
pensant à part lui que son chef était devenu fou.

II
LA BAIE DES TRÉPASSÉS.
De toutes les côtes de la vieille Bretagne, celle qui offre l'aspect le plus
sauvage, le plus sinistre, le plus désolé, est sans contredit la _Torche de
la tête du cheval_, en breton Penmarckh. Là, rien ne manque pour
frapper d'horreur le regard du voyageur éperdu. Un chaos presque
fantastique, des amoncellements étranges de rochers granitiques qu'on
croirait foudroyés, encombrent le rivage. La tradition prétend qu'à cette
place s'élevait jadis une cité vaste et florissante submergée en une seule
nuit par une mer en fureur. Mais de cette cité, il ne reste pas même le
nom! Des falaises à pic, des blocs écrasés les uns sur les autres par
quelque cataclysme épouvantable, pas un arbre, pas d'autre verdure que
celle des algues marines poussant aux crevasses des brisants, un
promontoire étroit, vacillant sans cesse sous les coups de mer et formé
lui-même de quartiers de rocs entassés pêle-mêle dans l'Océan par les
convulsions de quelque Titan agonisant; voilà quel est l'aspect de
Penmarckh, même par un temps calme et par une mer tranquille.
Mais lorsque le vent du sud vient chasser le flot sur les côtes, lorsque le
ciel s'assombrit, lorsque la tempête éclate, il est impossible à
l'imagination de rêver un spectacle plus grandiose, plus émouvant, plus
terrible, que ne l'offre cette partie des côtes de la Cornouaille. On dirait
alors que les vagues et que les rochers, que le démon des eaux et celui
de la terre se livrent un de ces combats formidables dont l'issue doit
être l'anéantissement des deux adversaires. L'Océan, furieux, bondit
écumant hors de son lit, et vient saisir corps à corps ces falaises
hérissées qui tremblent sur leur base. Sa grande voix mugit si haut
qu'on l'entend à plus de cinq lieues dans l'intérieur des terres,
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