rosée, constituaient un ensemble d'une saisissante beauté. Une large
bande de toile duement empesée, relevée de chaque côté de la tête par
deux épingles d'or, formait la coiffure de cette gracieuse tête. Le
corsage de la robe, en étoffe de laine bleue, tout chamarré de velours
noir et, de broderies de couleur jonquille, dessinait une taille ronde et
cambrée et une poitrine élégante et riche de promesses presque
réalisées. Les manches, en mousseline blanche à mille plis, s'ajustaient
à la robe par deux larges poignets de velours entourant la naissance du
bras. La jupe bleue retombait sur une seconde jupe orange, laquelle, à
son tour, laissait apercevoir un troisième jupon de laine noire. Des bas
de coton cerise, à broderie noire, modelaient à ravir une fine et
délicieuse jambe de Diane chasseresse. Le petit pied de cette belle fille
était enfermé dans un simple soulier de cuir bien ciré, orné d'une boucle
d'or. D'énormes anneaux d'oreilles et une chaîne de cou à laquelle
pendait une petite croix d'or, complétaient ce costume pittoresque.
En s'élançant légère sur le pont du lougre, la jeune Bretonne déplia une
sorte de manteau à capuchon à fond gris rayé de vert, qu'elle se jeta
gracieusement sur les épaules. Précaution d'autant moins inutile, que
les vagues qui déferlaient contre le bordage du _Jean-Louis_
retombaient en pluie fine sur le pont du navire, qu'elles balayaient
même quelquefois dans toute sa largeur.
--Ah! ah! les promis, vous avez donc assez du tête-à-tête? demanda en
souriant le patron du lougre, dès qu'il eut vu les deux jeunes gens
s'avancer vers lui.
Il avait formulé cette question en français. Jusqu'alors, pour causer avec
Bervic et pour donner des ordres à son équipage, il avait employé le
dialecte breton.
--Dame! monsieur Marcof, répondit la jeune fille, depuis que vous avez
fait fermer les panneaux, l'air commence à manquer là-dedans...
--Si j'ai fait fermer les panneaux, ma belle petite Yvonne, c'est que,
sans cela, les lames auraient fort bien pu troubler votre conversation.
--Sainte Marie! quel changement de temps! s'écria le jeune homme en
jetant autour de lui un regard plein d'étonnement et presque
d'épouvante.
--Ah ça! mon gars, fit Marcof en souriant, il paraît que quand tu es en
train de gazouiller des chansons d'amour, le bon Dieu peut déchaîner
toutes ses colères et tous ses tonnerres sans que tu y prêtes seulement
attention! Voici près d'une heure que nous dansons sur des vagues
diaboliques, et, ce qui m'étonne le plus, c'est que tu sois là, debout
devant moi, au lieu de t'affaler dans ton hamac...
--Et pourquoi souffrirais-je, Marcof, quand Yvonne ne souffre pas?...
--C'est qu'Yvonne est fille de matelot; c'est qu'elle a le pied et le coeur
marins, et qu'elle serait capable de tenir la barre si elle en avait la force.
N'est-ce pas, ma fille? continua Marcof en se retournant vers Yvonne.
--Sans doute, répondit-elle; vous savez bien que je n'ai pas quitté mon
père tant qu'il a navigué...
--Je sais que tu es une brave Bretonne, et que la sainte Vierge qui te
protége portera bonheur au _Jean-Louis_. Ah! Jahoua, mon gars, tu
auras là une sainte et honnête femme; et si tu ne te montrais pas digne
de ton bonheur, ce serait un rude compte à régler entre toi et tous les
marins de Penmarkh, moi en tête! Vois-tu, Yvonne, c'est notre enfant à
tous! Quand un navire vire au cabestan pour venir à pic sur son ancre, il
faut qu'elle soit là, il faut qu'elle prie au milieu de l'équipage qui va
partir! Un Pater d'Yvonne, c'est une recommandation pour le paradis.
--J'aime Yvonne de toute mon âme et de tout mon coeur, répondit
Jahoua avec simplicité, et la preuve que je l'aime, c'est que je suis son
promis.
--Je sais bien, mon gars; mais, vois-tu, dans tout cet amour-là, il y a
quelque chose qui me met vent dessous vent dedans, c'est...
Marcof s'arrêta brusquement, comme si la crainte d'entamer un sujet
pénible ou embarrassant lui eût fermé la bouche. Jahoua lui-même fit
un signe d'impatience, et Yvonne, dont son fiancé tenait les deux mains,
se recula vivement en rougissant et en baissant la tête. A coup sûr, les
paroles du patron avaient éveillé dans leurs âmes un triste souvenir.
--Tonnerre! s'écria Marcof après un moment de silence, voilà la rafale
qui redouble. La barre à bâbord, Bervic! Vieux caïman, tu ne gouvernes
plus! continua-t-il en breton en s'adressant au marin chargé de la
direction du lougre.
La tempête, en effet, prenait des proportions formidables. Un coup de
tonnerre effrayant succéda si rapidement à l'éclair qui le précédait
qu'Yvonne, épouvantée, se laissa tomber à genoux. Marcof saisit
lui-même la barre du gouvernail.
--Largue les focs et les huniers! commandait-il d'une voix brusque et
saccadée.
A cet ordre inattendu de livrer de la toile au vent dans cette
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