apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma ch��re ma?tresse. Cette pens��e m'en inspira aussi. Je remarquai que ses regards s'attachaient sur moi d'une autre fa?on qu'ils n'avaient accoutum��. Je ne pouvais d��m��ler si c'��tait de l'amour ou de la compassion, quoiqu'il me par?t que c'��tait un sentiment doux et languissant. Je la regardai avec la m��me attention; et peut-��tre n'avait-elle pas moins de peine �� juger de la situation de mon coeur par mes regards. Nous ne pensions ni �� parler, ni �� manger. Enfin, je vis tomber des larmes de ses beaux yeux: perfides larmes! Ah Dieux! m'��criai-je, vous pleurez, ma ch��re Manon; vous ��tes afflig��e jusqu'�� pleurer, et vous ne me dites pas un seul mot de vos peines. Elle ne me r��pondit que par quelques soupirs qui augment��rent mon inqui��tude. Je me levai en tremblant. Je la conjurai, avec tous les empressements de l'amour, de me d��couvrir le sujet de ses pleurs; j'en versai moi-m��me en essuyant les siens; j'��tais plus mort que vif. Un barbare aurait ��t�� attendri des t��moignages de ma douleur et de ma crainte. Dans le temps que j'��tais ainsi tout occup�� d'elle, j'entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l'escalier. On frappa doucement �� la porte. Manon me donna un baiser et s'��chappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet, qu'elle ferma aussit?t sur elle. Je me figurai qu'��tant un peu en d��sordre, elle voulait se cacher aux yeux des ��trangers qui avaient frapp��. J'allai leur ouvrir moi-m��me. A peine avais-je ouvert, que je me vis saisir par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon p��re. Ils ne me firent point de violence; mais deux d'entre eux m'ayant pris par le bras, le troisi��me visita mes poches, dont il tira un petit couteau qui ��tait le seul fer que j'eusse sur moi. Ils me demand��rent pardon de la n��cessit�� o�� ils ��taient de me manquer de respect; ils me dirent naturellement qu'ils agissaient par l'ordre de mon p��re, et que mon fr��re a?n�� m'attendait en bas dans un carrosse. J'��tais si troubl��, que je me laissai conduire sans r��sister et sans r��pondre. Mon fr��re ��tait effectivement �� m'attendre. On me mit dans le carrosse, aupr��s de lui, et le cocher, qui avait ses ordres, nous conduisit �� grand train jusqu'�� Saint-Denis. Mon fr��re m'embrassa tendrement, mais il ne me parla point, de sorte que j'eus tout le loisir dont j'avais besoin, pour r��ver �� mon infortune.
J'y trouvai d'abord tant d'obscurit�� que je ne voyais pas de jour �� la moindre conjecture. J'��tais trahi cruellement. Mais par qui? Tiberge fut le premier qui me vint �� l'esprit. Tra?tre! disais-je, c'est fait de ta vie si mes soup?ons se trouvent justes. Cependant je fis r��flexion qu'il ignorait le lieu de ma demeure, et qu'on ne pouvait, par cons��quent, l'avoir appris de lui. Accuser Manon, c'est de quoi mon coeur n'osait se rendre coupable. Cette tristesse extraordinaire dont je l'avais vue comme accabl��e, ses larmes, le tendre baiser qu'elle m'avait donn�� en se retirant, me paraissaient bien une ��nigme; mais je me sentais port�� �� l'expliquer comme un pressentiment de notre malheur commun, et dans le temps que je me d��sesp��rais de l'accident qui m'arrachait �� elle, j'avais la cr��dulit�� de m'imaginer qu'elle ��tait encore plus �� plaindre que moi. Le r��sultat de ma m��ditation fut de me persuader que j'avais ��t�� aper?u dans les rues de Paris par quelques personnes de connaissance, qui en avaient donn�� avis �� mon p��re. Cette pens��e me consola. Je comptais d'en ��tre quitte pour des reproches ou pour quelques mauvais traitements, qu'il me faudrait essuyer de l'autorit�� paternelle. Je r��solus de les souffrir avec patience, et de promettre tout ce qu'on exigerait de moi, pour me faciliter l'occasion de retourner plus promptement �� Paris, et d'aller rendre la vie et la joie �� ma ch��re Manon.
Nous arrivames, en peu de temps, �� Saint-Denis. Mon fr��re, surpris de mon silence, s'imagina que c'��tait un effet de ma crainte. Il entreprit de me consoler en m'assurant que je n'avais rien �� redouter de la s��v��rit�� de mon p��re, pourvu que je fusse dispos�� �� rentrer doucement dans le devoir et �� m��riter l'affection qu'il avait pour moi. Il me fit passer la nuit �� Saint-Denis, avec la pr��caution de faire coucher les trois laquais dans ma chambre. Ce qui me causa une peine sensible, fut de me voir dans la m��me h?tellerie o�� je m'��tais arr��t�� avec Manon, en venant d'Amiens �� Paris. L'h?te et les domestiques me reconnurent, et devin��rent en m��me temps la v��rit�� de mon histoire. J'entendis dire �� l'h?te: Ah! c'est ce joli monsieur qui passait, il y a six semaines, avec une petite demoiselle qu'il aimait si fort. Qu'elle ��tait charmante! Les pauvres
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