Manon Lescaut | Page 8

Abbé Prévost
rester �� peine douze ou quinze pistoles, je lui marquai mon ��tonnement de cette augmentation apparente de notre opulence. Elle me pria, en riant, d'��tre sans embarras. Ne vous ai-je pas promis, me dit-elle, que je trouverais des ressources? Je l'aimais avec trop de simplicit�� pour m'alarmer facilement.
Un jour que j'��tais sorti l'apr��s-midi, et que je l'avais avertie que je serais dehors plus longtemps qu'�� l'ordinaire, je fus ��tonn�� qu'�� mon retour on me f?t attendre deux ou trois minutes �� la porte. Nous n'��tions servis que par une petite bonne qui ��tait �� peu pr��s de notre age. ��tant venue m'ouvrir je lui demandai pourquoi elle avait tard�� si longtemps. Elle me r��pondit, d'un air embarrass��, qu'elle ne m'avait point entendu frapper Je n'avais frapp�� qu'une fois; je lui dis: mais, si vous ne m'avez pas entendu, pourquoi ��tes-vous donc venue m'ouvrir? Cette question la d��concerta si fort, que, n'ayant point assez de pr��sence d'esprit pour y r��pondre, elle se mit �� pleurer en m'assurant que ce n'��tait point sa faute, et que madame lui avait d��fendu d'ouvrir la porte jusqu'�� ce que M. de B... f?t sorti par l'autre escalier qui r��pondait au cabinet. Je demeurai si confus, que je n'eus point la force d'entrer dans l'appartement. Je pris le parti de descendre sous pr��texte d'une affaire, et j'ordonnai �� cet enfant de dire �� sa ma?tresse que je retournerais dans le moment, mais de ne pas faire conna?tre qu'elle m'e?t parl�� de M. de B...
Ma consternation fut si grande, que je versais des larmes en descendant l'escalier, sans savoir encore de quel sentiment elles partaient. J'entrai dans le premier caf�� et m'y ��tant assis pr��s d'une table, j'appuyai la t��te sur mes deux mains pour y d��velopper ce qui se passait dans mon coeur. Je n'osais rappeler ce que je venais d'entendre. Je voulais le consid��rer comme une illusion, et je fus pr��t deux ou trois fois de retourner au logis, sans marquer que j'y eusse fait attention. Il me paraissait si impossible que Manon m'e?t trahi, que je craignais de lui faire injure en la soup?onnant. Je l'adorais, cela ��tait s?r; je ne lui avais pas donn�� plus de preuves d'amour que je n'en avais re?u d'elle; pourquoi l'aurais-je accus��e d'��tre moins sinc��re et moins constante que moi? Quelle raison aurait-elle eue de me tromper? Il n'y avait que trois heures qu'elle m'avait accabl�� de ses plus tendres caresses et qu'elle avait re?u les miennes avec transport; je ne connaissais pas mieux mon coeur que le sien. Non, non, repris-je, il n'est pas possible que Manon me trahisse. Elle n'ignore pas que je ne vis que pour elle. Elle sait trop bien que je l'adore. Ce n'est pas l�� un sujet de me ha?r.
Cependant la visite et la sortie furtive de M. de B... me causaient de l'embarras. Je rappelais aussi les petites acquisitions de Manon, qui me semblaient surpasser nos richesses pr��sentes. Cela paraissait sentir les lib��ralit��s d'un nouvel amant. Et cette confiance qu'elle m'avait marqu��e pour des ressources qui m'��taient inconnues! J'avais peine �� donner �� tant d'��nigmes un sens aussi favorable que mon coeur le souhaitait. D'un autre c?t��, je ne l'avais presque pas perdue de vue depuis que nous ��tions �� Paris. Occupations, promenades, divertissements, nous avions toujours ��t�� l'un �� c?t�� de l'autre; mon Dieu! un instant de s��paration nous aurait trop afflig��s. Il fallait nous dire sans cesse que nous nous aimions; nous serions morts d'inqui��tude sans cela. Je ne pouvais donc m'imaginer presque un seul moment o�� Manon p?t s'��tre occup��e d'un autre que moi. A la fin, je crus avoir trouv�� le d��nouement de ce myst��re. M. de B..., dis-je en moi-m��me, est un homme qui fait de grosses affaires, et qui a de grandes relations; les parents de Manon se seront servis de cet homme pour lui faire tenir quelque argent. Elle en a peut-��tre d��j�� re?u de lui; il est venu aujourd'hui lui en apporter encore. Elle s'est fait sans doute un jeu de me le cacher, pour me surprendre agr��ablement. Peut-��tre m'en aurait-elle parl�� si j'��tais rentr�� �� l'ordinaire, au lieu de venir ici m'affliger; elle ne me le cachera pas, du moins, lorsque je lui en parlerai moi-m��me.
Je me remplis si fortement de cette opinion, qu'elle eut la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur-le-champ au logis. J'embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me re?ut fort bien. J'��tais tent�� d'abord de lui d��couvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines; je me retins, dans l'esp��rance qu'il lui arriverait peut-��tre de me pr��venir en m'apprenant tout ce qui s'��tait pass��. On nous servit �� souper. Je me mis �� table d'un air fort gai; mais �� la lumi��re de la chandelle qui ��tait entre elle et moi, je crus
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