Manon Lescaut | Page 7

Abbé Prévost
former au hasard. Venez me prendre demain �� neuf heures, je vous ferai voir s'il se peut, ma ma?tresse, et vous jugerez si elle m��rite que je fasse cette d��marche pour elle. Il me laissa seul, apr��s mille protestations d'amiti��. J'employai la nuit �� mettre ordre �� mes affaires, et m'��tant rendu �� l'h?tellerie de Mademoiselle Manon vers la pointe du jour je la trouvai qui m'attendait. Elle ��tait �� sa fen��tre, qui donnait sur la rue, de sorte que, m'ayant aper?u, elle vint m'ouvrir elle-m��me. Nous sort?mes sans bruit. Elle n'avait point d'autre ��quipage que son linge, dont je me chargeai moi-m��me. La chaise ��tait en ��tat de partir; nous nous ��loignames aussit?t de la ville. Je rapporterai, dans la suite, quelle fut la conduite de Tiberge, lorsqu'il s'aper?ut que je l'avais tromp��. Son z��le n'en devint pas moins ardent. Vous verrez �� quel exc��s il le porta, et combien je devrais verser de larmes en songeant quelle en atoujours ��t�� la r��compense.
Nous nous hatames tellement d'avancer que nous arrivames �� Saint-Denis avant la nuit. J'avais couru �� cheval �� c?t�� de la chaise, ce qui ne nous avait gu��re permis de nous entretenir qu'en changeant de chevaux; mais lorsque nous nous v?mes si proche de Paris, c'est-��-dire presque en s?ret��, nous pr?mes le temps de nous rafra?chir, n'ayant rien mang�� depuis notre d��part d'Amiens. Quelque passionn�� que je fusse pour Manon, elle sut me persuader qu'elle ne l'��tait pas moins pour moi. Nous ��tions si peu r��serv��s dans nos caresses, que nous n'avions pas la patience d'attendre que nous fussions seuls. Nos postillons et nos h?tes nous regardaient avec admiration, et je remarquais qu'ils ��taient surpris de voir deux enfants de notre age, qui paraissaient s'aimer jusqu'�� la fureur. Nos projets de mariage furent oubli��s �� Saint-Denis; nous fraudames les droits de l'��glise, et nous nous trouvames ��poux sans y avoir fait r��flexion. Il est s?r que, du naturel tendre et constant dont je suis, j'��tais heureux pour toute ma vie, si Manon m'e?t ��t�� fid��le. Plus je la connaissais, plus je d��couvrais en elle de nouvelles qualit��s aimables. Son esprit, son coeur sa douceur et sa beaut�� formaient une cha?ne si forte et si charmante, que j'aurais mis tout mon bonheur �� n'en sortir jamais. Terrible changement! Ce qui fait mon d��sespoir a pu faire ma f��licit��. Je me trouve le plus malheureux de tous les hommes, par cette m��me constance dont je devais attendre le plus doux de tous les sorts, et les plus parfaites r��compenses de l'amour.
Nous pr?mes un appartement meubl�� �� Paris. Ce fut dans la rue V... et, pour mon malheur aupr��s de la maison de M. de B..., c��l��bre fermier g��n��ral. Trois semaines se pass��rent, pendant lesquelles j'avais ��t�� si rempli de ma passion que j'avais peu song�� �� ma famille et au chagrin que mon p��re avait d? ressentir de mon absence. Cependant, comme la d��bauche n'avait nulle part �� ma conduite, et que Manon se comportait aussi avec beaucoup de retenue, la tranquillit�� o�� nous vivions servit �� me faire rappeler peu �� peu l'id��e de mon devoir. Je r��solus de me r��concilier, s'il ��tait possible, avec mon p��re. Ma ma?tresse ��tait si aimable que je ne doutai point qu'elle ne p?t lui plaire, si je trouvais moyen de lui faire conna?tre sa sagesse et son m��rite: en un mot, je me flattai d'obtenir de lui la libert�� de l'��pouser ayant ��t�� d��sabus�� de l'esp��rance de le pouvoir sans son consentement. Je communiquai ce projet �� Manon, et je lui fis entendre qu'outre les motifs de l'amour et du devoir celui de la n��cessit�� pouvait y entrer aussi pour quelque chose, car nos fonds ��taient extr��mement alt��r��s, et je commen?ais �� revenir de l'opinion qu'ils ��taient in��puisables. Manon re?ut froidement cette proposition. Cependant, les difficult��s qu'elle y opposa n'��tant prises que de sa tendresse m��me et de la crainte de me perdre, si mon p��re n'entrait point dans notre dessein apr��s avoir connu le lieu de notre retraite, je n'eus pas le moindre soup?on du coup cruel qu'on se pr��parait �� me porter. �� l'objection de la n��cessit��, elle r��pondit qu'il nous restait encore de quoi vivre quelques semaines, et qu'elle trouverait, apr��s cela, des ressources dans l'affection de quelques parents �� qui elle ��crirait en province. Elle adoucit son refus par des caresses si tendres et si passionn��es, que moi, qui ne vivais que dans elle, et qui n'avais pas la moindre d��fiance de son coeur, j'applaudis �� toutes ses r��ponses et �� toutes ses r��solutions. Je lui avais laiss�� la disposition de notre bourse, et le soin de payer notre d��pense ordinaire. Je m'aper?us, peu apr��s, que notre table ��tait mieux servie, et qu'elle s'��tait donn�� quelques ajustements d'un prix consid��rable. Comme je n'ignorais pas qu'il devait nous
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