Manon Lescaut | Page 6

Abbé Prévost
je le priai de se charger Ainsi j'eus le plaisir, en arrivant �� l'auberge, d'entretenir seul la souveraine de mon coeur. Je reconnus bient?t que j'��tais moins enfant que je ne le croyais. Mon coeur s'ouvrit �� mille sentiments de plaisir dont je n'avais jamais eu l'id��e. Une douce chaleur se r��pandit dans toutes mes veines. J'��tais dans une esp��ce de transport, qui m'?ta pour quelque temps, la libert�� de la voix et qui ne s'exprimait que par mes yeux. Mademoiselle Manon Lescaut, c'est ainsi qu'elle me dit qu'on la nommait, parut fort satisfaite de cet effet de ses charmes. Je crus apercevoir qu'elle n'��tait pas moins ��mue que moi. Elle me confessa qu'elle me trouvait aimable et qu'elle serait ravie de m'avoir obligation de sa libert��. Elle voulut savoir qui j'��tais, et cette connaissance augmenta son affection, parce qu'��tant d'une naissance commune, elle se trouva flatt��e d'avoir fait la conqu��te d'un amant tel que moi. Nous nous entret?nmes des moyens d'��tre l'un �� l'autre. Apr��s, quantit�� de r��flexions, nous ne trouvames point d'autre voie que celle de la fuite. Il fallait tromper la vigilance du conducteur, qui ��tait un homme �� m��nager quoiqu'il ne f?t qu'un domestique. Nous r��glames que je ferais pr��parer pendant la nuit une chaise de poste, et que je reviendrais de grand matin �� l'auberge avant qu'il f?t ��veill��; que nous nous d��roberions secr��tement, et que nous irions droit �� Paris, o�� nous nous ferions marier en arrivant. J'avais environ cinquante ��cus, qui ��taient le fruit de mes petites ��pargnes; elle en avait �� peu pr��s le double. Nous nous imaginames, comme des enfants sans exp��rience, que cette somme ne finirait jamais, et nous ne comptames pas moins sur le succ��s de nos autres mesures.
Apr��s avoir soup�� avec plus de satisfaction que je n'en avais jamais ressenti, je me retirai pour ex��cuter notre projet. Mes arrangements furent d'autant plus faciles, qu'ayant eu dessein de retourner le lendemain chez mon p��re, mon petit ��quipage ��tait d��j�� pr��par��. Je n'eus donc nulle peine �� faire transporter ma malle, et �� faire tenir une chaise pr��te pour cinq heures du matin, qui ��taient le temps o�� les portes de la ville devaient ��tre ouvertes; mais je trouvai un obstacle dont je ne me d��fiais point, et qui faillit de rompre enti��rement mon dessein.
Tiberge, quoique ag�� seulement de trois ans plus que moi, ��tait un gar?on d'un sens m?r et d'une conduite fort r��gl��e. Il m'aimait avec une tendresse extraordinaire. La vue d'une aussi jolie fille que Mademoiselle Manon, mon empressement �� la conduire, et le soin que j'avais eu de me d��faire de lui en l'��loignant, lui firent na?tre quelques soup?ons de mon amour Il n'avait os�� revenir �� l'auberge, o�� il m'avait laiss��, de peur de m'offenser par son retour; mais il ��tait all�� m'attendre �� mon logis, o�� je le trouvai en arrivant, quoiqu'il f?t dix heures du soir. Sa pr��sence me chagrina. Il s'aper?ut facilement de la contrainte qu'elle me causait. Je suis s?r me dit-il sans d��guisement, que vous m��ditez quelque dessein que vous me voulez cacher; je le vois �� votre air. Je lui r��pondis assez brusquement que je n'��tais pas oblig�� de lui rendre compte de tous mes desseins. Non, reprit-il, mais vous m'avez toujours trait�� en ami, et cette qualit�� suppose un peu de confiance et d'ouverture. Il me pressa si fort et si longtemps de lui d��couvrir mon secret, que, n'ayant jamais eu de r��serve avec lui, je lui fis l'enti��re confidence de ma passion. Il la re?ut avec une apparence de m��contentement qui me fit fr��mir. Je me repentis surtout de l'indiscr��tion avec laquelle je lui avais d��couvert le dessein de ma fuite. Il me dit qu'il ��tait trop parfaitement mon ami pour ne pas s'y opposer de tout son pouvoir; qu'il voulait me repr��senter d'abord tout ce qu'il croyait capable de m'en d��tourner mais que, si je ne renon?ais pas ensuite �� cette mis��rable r��solution, il avertirait des personnes qui pourraient l'arr��ter �� coup s?r Il me tint l��-dessus un discours s��rieux qui dura plus d'un quart d'heure, et qui finit encore par la menace de me d��noncer si je ne lui donnais ma parole de me conduire avec plus de sagesse et de raison. J'��tais au d��sespoir de m'��tre trahi si mal �� propos. Cependant, l'amour m'ayant ouvert extr��mement l'esprit depuis deux ou trois heures, je fis attention que je ne lui avais pas d��couvert que mon dessein devait s'ex��cuter le lendemain, et je r��solus de le tromper �� la faveur d'une ��quivoque: Tiberge, lui dis-je, j'ai cru jusqu'�� pr��sent que vous ��tiez mon ami, et j'ai voulu vous ��prouver par cette confidence, il est vrai que j'aime, je ne vous ai pas tromp��, mais, pour ce qui regarde ma fuite, ce n'est point une entreprise ��
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