le compte des mameluks, pourvoyeurs
d'eunuques, etc.
Les Arabes, que l'on doit séparer en trois classes, forment la masse
réelle de la population. Ils descendent des compagnons du prophète qui
conquirent l'Égypte sur les Cophtes; les scheicks, dont la généalogie
remonte, selon eux, jusqu'à Mahomet, sont les grands propriétaires et
les savants; ils réunissent à la noblesse les fonctions du culte et de la
magistrature. Dans les Divans, ils représentent le pays; dans les
mosquées, ils enseignent la religion, la morale du Koran, un peu de
philosophie et de jurisprudence.
Au-dessous des scheiks sont les marchands arabes et les petits
propriétaires du sol. Vient ensuite la classe des Arabes fellahs, qui
comprend les paysans cultivateurs, les prolétaires, ouvriers, ilotes et
mendiants. Puis les Arabes nomades ou Bédouins, fils du désert, au
nombre de cent cinquante mille, et vivant de rapine et de pillage.
Les Turcs, au nombre de deux cent mille, sont les derniers conquérants
de l'Égypte sur les Arabes; mais leur puissance et leur autorité n'ont
plus qu'une existence nominale. Leurs esclaves et mercenaires de race
circassienne appelés mameluks, que depuis près de huit siècles, ils
tirent du Caucase, et dont ils avaient formé une milice pour les aider à
maintenir l'Égypte sous leur domination, ont, avec le temps, pris la
suprématie. Ils se sont rendus indépendants de Constantinople et
maîtres du pays. Ils sont au moins soixante-dix mille, sans compter un
corps de douze mille cavaliers secondés par vingt-quatre mille servants
d'armes, car chaque mameluk est escorté de deux fellahs à pied.
Vingt-trois beys, égaux entre eux, ayant chacun de quatre à huit cents
mameluks, règnent par la terreur sur les Cophtes, Arabes, fellahs, Turcs,
janissaires, spahis, juifs et Levantins. Sous ce dernier nom, on désigne
les Arabes chrétiens, les Syriens, Arméniens, Grecs et commerçants
européens établis à Alexandrie.
À notre arrivée en Égypte, deux beys se partageaient l'autorité. Ibrahim,
riche, astucieux, puissant, s'était adjugé les attributions civiles; Mourad,
intrépide, vaillant, plein d'ardeur, les attributions militaires.
Une féodalité comme celle du moyen âge, une milice conquérante en
révolte contre son souverain, et une population abrutie, aux gages du
plus fort, telle était la situation.
Si nous étonnions les musulmans, ils ne nous surprenaient pas moins.
Tout est opposition entre leur manière de voir et la nôtre, tout est
contraste entre eux et nous. Nous portons des habits courts et serrés; ils
ont de longs et amples vêtements. Nous laissons pousser nos cheveux et
nous nous rasons la barbe; ils laissent croître leur barbe et se rasent le
crâne. Se découvrir la tête est chez nous une marque de respect; chez
eux, il n'y a que les fous qui aillent tête nue. Nous saluons en nous
inclinant; ils saluent sans courber l'échine. Ils mangent à terre; nous
nous asseyons sur des chaises. Nous écrivons de gauche à droite; ils
écrivent de droite à gauche. Ils s'abordent d'un air grave et profond, au
lieu du sourire que nous affectons souvent. Notre gaieté leur paraît de la
folie. S'ils parlent, c'est posément, sans gestes, sans marquer aucun
sentiment, longuement et sans jamais s'interrompre. Quand l'un a fini,
l'autre reprend sur le même ton monotone; aussi leurs conversations ne
sont ni animées, ni bruyantes; ils passent volontiers des journées
entières sans dire un mot, rêvant ou fumant, les jambes croisées,
immobiles sur le seuil de leurs maisons ou de leurs boutiques ouvertes
en plein vent.
Cette nonchalance ne tient nullement à l'influence du climat, car les
Grecs et Levantins sont aussi remuants et aussi gais que les Turcs sont
paresseux et graves. Cela tient à la notion du fatalisme, qui arme le
musulman de résignation devant toutes les éventualités de la vie.
De là une imprévoyance, une incurie absolues. Chez le chrétien, au
contraire, le coeur est ouvert à toutes les aspirations. Dieu n'est pas
inexorable; l'homme pouvant le fléchir, doit réagir sur les conditions de
sa propre existence.
Bonaparte voulant s'emparer du Caire, capitale de toute l'Égypte, et y
arriver avant l'inondation du Nil, prit ses dispositions pour se mettre en
marche. Après quatre jours de repos à Alexandrie, la première colonne,
composée de l'avant-garde et du corps de bataille, partit par la route de
Damanhour et le désert. La seconde colonne, dans laquelle était
comprise la cavalerie, qui, en quatre jours, n'avait naturellement pas eu
le temps de se remonter, et le corps des savants avec leur matériel, fut
embarquée sur une flottille.
Dubertet voulut que je fisse le voyage avec lui, en compagnie de sa
femme et de ses imprimeurs. Je montai donc avec Guidamour et une
douzaine de dragons sur la même djerme, c'est ainsi que l'on nomme
ces gros bâtiments du Nil. La famille de Cérignan, que je n'avais pas
revue, restait à Alexandrie.
Pendant les sept jours que je passai en compagnie de Dubertet et de sa
moitié,
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