était bien tel qu'on l'espérait de ses lèvres, et, quand on l'avait quittée, on ne pensait pas qu'elle p?t être mieux ou autrement qu'on ne l'avait vue.
Le lendemain de cette première rencontre, Georges n'aurait pas pu dire si Mme Rose était brune ou blonde, il lui semblait bien, en cherchant, qu'elle avait les cheveux chatain clair et les yeux d'un bleu foncé, mais il n'en était pas s?r; il se rappelait seulement qu'elle avait une grande apparence de jeunesse avec un air réfléchi qui augmentait la grace de sa physionomie. Quand elle parlait, elle vous regardait bien franchement dans les yeux; un joli sourire égayait le coin de sa bouche, qui semblait faite pour la vérité. Elle était naturellement joyeuse et vive, et cependant un voile de mélancolie était répandu sur son front, et son regard avait parfois quelque chose de triste et de plaintif comme celui d'une colombe blessée. C'était moins une lueur qu'un éclair fugitif; mais il n'en fallait pas davantage pour comprendre que Mme Rose avait souffert, comme ces petites gouttes d'eau suspendues aux pétales d'un lis indiquent qu'il a plu.
M. de Francalin avait demandé à Mme Rose la permission de la revoir, ne f?t-ce que pour la remercier de son hospitalité, et elle la lui avait accordée sans hésitation. Il retourna donc à Herblay dès le lendemain; mais ce jour-là Mme Rose était à la promenade.
?Elle y va souvent quand il fait clair, dit une bonne femme qui avait soin du ménage: si vous voulez rencontrer Mme Rose, il faut venir vers onze heures ou midi.?
Comme il descendait la c?te d'Herblay, M. de Francalin aper?ut Canada qui ramassait du sable dans la rivière. En trois coups de rame, il fut auprès de lui.
?Si vous m'aviez hélé tout à l'heure quand vous avez passé avec la Tortue, je vous aurais évité la peine de monter là-haut, lui dit Canada.
--Vous saviez donc que Mme Rose n'était pas chez elle?
--Pardine! puisque je viens de la conduire à la ferme, de l'autre c?té de l'eau....
--Et qui la ramènera?
--Moi donc! Est-ce que je n'ai pas des bras et un bateau? est-ce qu'il ne faut pas qu'on gagne sa pauvre vie??
Georges, alluma un cigare à la pipe de Canada.
?Dites donc, mon vieux, si vous laissiez de c?té votre perche et votre sable?... J'ai là mon épervier, et nous prendrions bien de quoi faire une friture en remontant la rivière.?
Le pêcheur regarda Georges en dessous et secoua d'un air fin les cendres de sa pipe.
?C'est-à-dire, monsieur Georges, que vous avez envie de me parler de Mme Rose.... Vous vous êtes dit comme ?a: ?Je ne connais pas la rose d'Herblay; ?Canada la conna?t, faisons causer le vieux.?
Georges sourit.
?Eh bien! je suis bon diable, reprit Canada; laissez-moi amarrer mon sabot à quelque pied de saule, et je passerai à bord de la Tortue.... Nous ramènerons Mme Rose de compagnie.... ?a n'empêche pas, grommela-t-il en s'approchant du rivage, que cette conversation va me faire manquer ma journée.... Ce sable que je pêche est plein de ferraille, et il y a profit à le ramasser.
--Est-ce qu'on ne sait pas que tout travail mérite salaire? Venez toujours,? dit Georges.
La barque attachée, Georges prit les rames, Canada l'épervier, et ils remontèrent la Seine dans la direction des tirés de Saint-Germain.
??à, que vous pla?t-il de savoir? reprit le pêcheur.
--Un peu de tout.
--Voulez-vous que je vous dise ma pensée, moi? poursuivit Canada sans s'arrêter à la réponse de M. de Francalin. Vous m'avez tout à fait la mine d'un homme qui va devenir amoureux de Mme Rose.?
Georges haussa les épaules.
? Oh! il ne faut pas faire le dédaigneux; vous l'avez été certainement de personnes qui ne la valaient pas.... On ne vient pas s'enfermer comme un ours à Maisons, par la bise et par la neige, sans qu'il y ait une femme là-dessous.?
Georges rougit.
?Bon! votre visage m'a répondu.... Bah! les feuilles vertes remplacent les feuilles mortes, et Mme Rose vous guérira; mais vrai, Dieu! si je croyais qu'il d?t lui arriver malheur à cause de vous, aussi vrai que voilà Tambour, je culbuterais le canot et vous enverrais au fond de la rivière.
--Merci! fit Georges.
--Oh! c'est une manière de parler. D'ailleurs vous êtes un brave gar?on, et je ne vous veux pas de mal, au contraire. C'est seulement pour vous faire voir ce que c'est que Mme Rose pour moi.?
Cela dit, Canada assura son pied sur l'avant de la Tortue, souleva l'épervier et le lan?a dans l'eau.
?Il faut vous dire, reprit-il en retirant les petits poissons qui grouillaient au coeur du filet, que Mme Rose habite Herblay depuis un an ou quinze mois. Elle y est arrivée au temps qu'on se fusillait dans les rues de Paris. Cette bonne femme que vous avez vue chez elle l'accompagnait. J'ai pensé d'abord que c'était une dame de là-bas qui avait peur des
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