Madame Rose; Pierre de Villerglé | Page 5

Amédée Achard
chez moi! Il faudrait chercher dans bien des maisons pour trouver ces beaux fauteuils et ces pendules avec des dames tout en or!... Il n'y en a pas deux comme ?a dans tout Herblay! Et comme ?a sonne!... hein? On dirait une petite cloche....
--Midi! s'écria Georges!... Bon!... Pétronille va bien me recevoir!?
Il fit un mouvement; la couverture dont il était enveloppé s'entr'ouvrit, et il s'aper?ut qu'il avait les jambes nues.
?Dame! dit Canada en répondant aux regards de M. de Francalin, il a bien fallu vous déshabiller de la tête aux pieds! Est-ce que vous ne vous avisez pas de vous évanouir comme une demoiselle? Il y a une heure que je vous frotte. Voilà le flacon et voilà la flanelle. Le flacon y a passé tout entier, une eau-de-vie qui ressusciterait un mort, et dont j'ai go?té pour voir. Mme Rose ne marchande pas sur la qualité.
--Mme Rose?... cette jeune femme en noir?... Est-ce que par hasard je serais chez elle?
--Tiens! vous n'avez donc pas regardé la pendule? A peine étiez-vous par terre qu'elle a exigé qu'on vous conduis?t dans sa maison. Je vous ai pris sur mes épaules et ne me suis arrêté qu'après vous avoir mis dans ce fauteuil. Eh! eh! la c?te est roide; c'est en haut seulement que je m'en suis aper?u.
--Pauvre Canada!... Ah ?a! mais je ne puis pas rester dans ce costume chez Mme Rose,... une couverture et rien dessous!
--Ne vous mettez pas en peine! On n'est pas riche, mais on a deux habits complets. Voilà des souliers où vous serez comme dans un bateau, et une vareuse qui vous tiendra chaud sans vous étouffer; mettez-moi ?a.?
Il étala les vêtements sur une chaise et se frotta les mains.
?Eh! eh! reprit-il d'un air sournois, ?a fait une bonne course et une heure de friction. La fatigue n'est rien, c'est la matinée qui est perdue.
Georges, qui connaissait Canada de longue main, sourit.
?Bon! on vous revaudra cela, dit-il.
--Oh! je ne parle de rien, s'écria Canada; je sais qu'avec vous on joue à qui perd gagne.... Passez-moi cette chemise de laine; c'est chaud comme une toison.?
Georges s'habilla en toute hate; il lui tardait de s'excuser auprès de Mme Rose et de la remercier.
?Elle m'a semblé jolie, reprit-il tout en bouclant le vaste pantalon de Canada.
--Jolie! s'écria le pêcheur avec l'expression du dédain le plus marqué.... Jolie! en voilà une idée! mais vous ne l'avez donc pas vue? Il y a de jolies filles dans le pays: la Louison, la Catherine, la Pierrette; mais Mme Rose! elle leur ressemble comme un pied d'oeillet à un brin d'oseille!
--Diable!
--Ah! vous riez! C'est peut-être parce que je l'aime; mais je m'imagine que les reines des contes de fée devaient être faites comme Mme Rose.... Il faut que l'eau de la rivière vous ait aveuglé pour dire de Mme Rose qu'elle vous a semblé jolie!?
Un petit coup frappé à la porte interrompit Canada.
?Qu'est-ce? dit-il.
--Je venais savoir des nouvelles du malade; comment va-t-il?? demanda une voix d'un timbre doux et argentin.
Canada courut à la porte et l'ouvrit.
?Oh! vous pouvez entrer; il est debout et tout grouillant comme un brochet,? dit-il.
Mme Rose salua Georges en souriant.
?Vous n'avez plus froid; peut-être avez-vous faim; voulez-vous déjeuner?? dit-elle.
M. de Francalin donna un coup d'oeil à son costume, puis la regarda.
?Oh! à la campagne!? reprit-elle avec un joli mouvement d'épaules.
La connaissance était faite; Georges accepta. Comme il suivait Mme Rose dans une pièce voisine où le couvert était dressé, Canada se pencha à son oreille.
?Eh bien! dit-il, trouvez-vous toujours qu'elle soit jolie?
--C'est vrai, répondit Georges; jolie n'est pas le mot: elle a je ne sais quoi qui n'est pas cela et qui est mieux que cela.
--Tiens, dit Canada, elle a son coeur dans les yeux.?

II
C'était la première fois que Georges voyait Mme Rose, et maintenant qu'il l'avait regardée, il s'expliquait très-nettement le sentiment bizarre de Canada. On ne pouvait pas dire de Mme Rose qu'elle e?t une taille de déesse, la chevelure de Cypris, un profil de camée, et toutes ces perfections que les po?tes accordent volontiers à leurs divinités. était-elle belle? était-elle jolie? on ne le savait pas. Elle séduisait par un charme singulier qui était en elle et qui vous enveloppait doucement comme la chaleur pénétrante d'un foyer où brille un feu clair. Ce charme ne provenait ni de la pureté de ses traits, qui n'étaient pas d'une extrême régularité, ni de la grandeur et de l'éclat de ses yeux, qu'on pouvait voir sans en être ébloui: il provenait de l'harmonie, ce don si rare et si précieux. Il était impossible de désirer qu'elle e?t le nez plus fin ou la bouche plus petite: il semblait que chacun de ses traits f?t précisément ce qu'il devait être, et qu'on les avait faits exprès pour elle; le son de la voix répondait à l'expression du regard; le sourire
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