Ma captivité en Abyssinie | Page 5

Henri Blanc
que les Portugais avaient érigé à Gondar pour un roi plus
sédentaire que lui, les délices des courses imprévues pendant les
magnifiques et fraîches nuits de l'Abyssinie. Sa maison était
parfaitement réglée; le même esprit d'ordre qui lui avait fait introduire
comme une sorte de discipline dans son armée, se montrait aussi dans
l'arrangement de ses affaires domestiques. Chaque département était
sous le contrôle d'un chef qui était directement responsable devant

l'empereur de tout ce qui dépendait du département qui lui était confié.
Parmi ses officiers, tous hommes de position élevée, les uns étaient les
surintendants des cuisiniers, des femmes qui préparaient les grands et
insipides pains de l'Abyssinie, des porteuses de bois et des porteuses
d'eau, etc. D'autres, appelés _Baldéras_, avaient la surveillance des
haras royaux, les Azages, celle des serviteurs; les Bedjerand, du trésor,
des approvisionnements, etc. Il y avait encore les Agafaris ou
introducteurs, les Likamaquas ou chambellans; l'Afa-Négus ou bouche
du roi était l'interprète.
Une chose étrange, c'est que Théodoros préférait pour son service
personnel, ceux qui avaient servi des Européens. Son laquais, le seul
qui soit resté avec lui jusqu'à la fin, avait été serviteur de Barroni,
vice-consul à Massowah. Un autre, un jeune homme nommé Paul, était
un ancien serviteur de M. Walker, d'autres encore avaient été au service
de MM. Plowden, Bell et Cameron. A l'exception de son valet, qui était
assidûment auprès de lui, les autres, quoique demeurant dans la même
enceinte, étaient plus spécialement chargés du soin de ses fusils, de ses
sabres, de ses lances, de ses boucliers, etc. Il avait aussi autour de lui un
grand nombre de pages; non pas, je crois qu'il réclamât souvent leur
présence; mais c'était un honneur qu'il donnait aux chefs auxquels il
confiait certains commandements ou le gouvernement de quelque
province éloignée. Tout le service de la maison était confié à des
femmes. Elles cuisaient, elles charriaient l'eau et le bois, elles
nettoyaient la tente ou la hutte de Théodoros, selon qu'elles en avaient
besoin. La plupart d'entre elles étaient des esclaves, qu'il avait enlevées
à un marchand d'esclaves, au temps même où il faisait de vaillants
efforts pour mettre un terme à la traite des noirs. Une fois par semaine,
ou plus souvent selon le cas, un officier supérieur et son régiment
avaient l'honneur de procéder, dans le ruisseau le plus rapproché, an
lavage du linge de l'empereur, ainsi qu'à celui de la maison impériale.
Personne, pas même le plus petit page, ne pouvait, sous peine de mort,
pénétrer dans son harem. Il avait un grand nombre d'eunuques, la
plupart étaient des Gallas; des soldats ou des chefs qui avaient subi la
mutilation que les Gallas infligent à leurs ennemis blessés. La reine, ou
la favorite du moment, avait une tente ou une maison à elle; et plusieurs
eunuques la servaient; la nuit venue, ces serviteurs couchaient à la porte
de sa tente, et étaient responsables de la vertu de la dame confiée à leur

soin. Quant à ses autres femmes, qui furent autrefois l'objet de ses vives
et passagères affections, délaissées maintenant, elles étaient entassées
dix ou vingt ensemble dans la même tente ou la même hutte. Un ou
deux eunuques et quelques femmes esclaves, étaient tout ce qu'il
accordait à ces pauvres abandonnées.
Théodoros était plus bigot que religieux. Avant tout, il était
superstitieux, et cela à un degré incroyable pour un homme si supérieur
à tous ses concitoyens. Il avait toujours avec lui plusieurs astrologues,
qu'il consultait dans toutes les occasions importantes, surtout avant
d'entreprendre ses expéditions, et dont l'influence sur lui était étonnante.
Il haïssait les prêtres, méprisait leur ignorance, dédaignait leurs
doctrines et se raillait des histoires merveilleuses contenues dans leurs
ouvrages; et pourtant il ne se mettait jamais en marche sans se faire
accompagner d'une tente-église, d'une armée de prêtres, de desservants,
de diacres, et ne passait jamais devant une église sans en baiser le seuil.
Quoiqu'il sût lire et écrire, jamais il ne s'abaissa à correspondre
personnellement avec quelqu'un; mais il se faisait toujours
accompagner par plusieurs secrétaires auxquels il dictait ses lettres; sa
mémoire était si prodigieuse qu'il pouvait dicter une réponse à une
lettre reçue des mois et même des années auparavant, ou discourir sur
des sujets ou des événements arrivés dans un passé
très-éloigné.--Supposons-le en campagne. Sur une colline éloignée
s'élève une petite tente en flanelle rouge: c'est là que Théodoros a fixé
sa demeure et celle de sa maison: A sa droite est l'église; près de sa
tente celle de la reine, ou de la favorite du jour. Puis à côté, une autre
tente destinée à sa précédente favorite, qui voyage avec lui jusqu'à ce
qu'une occasion favorable s'offre pour l'envoyer à Magdala, où des
centaines d'entre elles sont retenues prisonnières, s'occupant à filer du
coton pour les _shamas_[1] de leur maître et
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